Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/166

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regretté d’avoir laissé cette arme dans ses cartons, quand, pour se soustraire à l’odieux supplice que lui réservait sa rivale, elle avait souhaité de se tuer. En un instant elle retourna chez elle, trouva le poignard, le mit à sa ceinture, serra autour de ses épaules et de sa taille un grand châle, enveloppa ses cheveux d’une dentelle noire, se couvrit la tête d’un de ces chapeaux à larges bords que portaient les Chouans et qui appartenait à un domestique de sa maison, et avec cette présence d’esprit que prêtent parfois les passions, elle prit le gant du marquis donné par Marche-à-terre comme un passeport ; puis, après avoir répondu à Francine effrayée — Que veux-tu ? j’irais le chercher dans l’enfer ! elle revint sur la Promenade.

Le Gars était encore à la même place, mais seul. D’après la direction de sa longue-vue, il paraissait examiner, avec l’attention scrupuleuse d’un homme de guerre, les différents passages du Nançon, l’Escalier de la Reine, et le chemin qui, de la porte Saint-Sulpice, tourne entre cette église et va rejoindre les grandes routes sous le feu du château. Mademoiselle de Verneuil s’élança dans les petits sentiers tracés par les chèvres et leurs pâtres sur le versant de la Promenade, gagna l’Escalier de la Reine, arriva au fond du précipice, passa le Nançon, traversa le faubourg, devina, comme l’oiseau dans le désert, sa route au milieu des dangereux escarpements des roches de Saint-Sulpice, atteignit bientôt une route glissante tracée sur des blocs de granit, et, malgré les genêts, les ajoncs piquants, les rocailles qui la hérissaient, elle se mit à la gravir avec ce degré d’énergie inconnu peut-être à l’homme, mais que la femme entraînée par la passion possède momentanément. La nuit surprit Marie à l’instant où, parvenue sur les sommets, elle tâchait de reconnaître, à la faveur des pâles rayons de la lune, le chemin qu’avait dû prendre le marquis ; une recherche obstinée faite sans aucun succès, et le silence qui régnait dans la campagne, lui apprirent la retraite des Chouans et de leur chef. Cet effort de passion tomba tout à coup avec l’espoir qui l’avait inspiré. En se trouvant seule, pendant la nuit, au milieu d’un pays inconnu, en proie à la guerre, elle se mit à réfléchir, et les recommandations de Hulot, le coup de feu de madame du Gua, la firent frissonner de peur. Le calme de la nuit, si profond sur les montagnes, lui permit d’entendre la moindre feuille errante même à de grandes distances et ces bruits légers vibraient dans les airs comme pour donner une triste mesure de la solitude ou du silence. Le vent