Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/178

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les yeux par un secret respect pour cette douleur ; mais, malgré cet attendrissement, d’Orgemont lui dit encore : — N’approchez pas du mur, vous…

Et ses yeux ne quittèrent pas ceux de mademoiselle de Verneuil, en espérant ainsi l’empêcher d’examiner plus attentivement les parois de ce cabinet, où l’air trop raréfié ne suffisait pas au jeu des poumons. Cependant Marie réussit à dérober un coup d’œil à son argus, et, d’après les bizarres proéminences des murs, elle supposa que l’avare les avait bâtis lui-même avec des sacs d’argent ou d’or. Depuis un moment, d’Orgemont était plongé dans un ravissement grotesque. La douleur que la cuisson lui faisait souffrir aux jambes, et sa terreur en voyant un être humain au milieu de ses trésors, se lisaient dans chacunes de ses rides ; mais en même temps ses yeux arides exprimaient, par un feu inaccoutumé, la généreuse émotion qu’excitait en lui le périlleux voisinage de sa libératrice, dont la joue rose et blanche attirait le baiser, dont le regard noir et velouté lui amenait au cœur des vagues de sang si chaudes, qu’il ne savait plus si c’était signe de vie ou de mort.

— Êtes-vous mariée ? lui demanda-t-il d’une voix tremblante.

— Non, dit-elle en souriant.

— J’ai quelque chose, reprit-il en poussant son soupir, quoique je ne sois pas aussi riche qu’ils le disent tous. Une jeune fille comme vous doit aimer les diamants, les bijoux, les équipages, l’or, ajouta-t-il en regardant d’un air effaré autour de lui. J’ai tout cela à donner, après ma mort. Hé ! si vous vouliez…

L’œil du vieillard décelait tant de calcul, même dans cet amour éphémère, qu’en agitant sa tête par un mouvement négatif, mademoiselle de Verneuil ne put s’empêcher de penser que l’avare ne songeait à l’épouser que pour enterrer son secret dans le cœur d’un autre lui-même.

— L’argent, dit-elle en jetant à d’Orgemont un regard plein d’ironie qui le rendit à la fois heureux et fâché, l’argent n’est rien pour moi. Vous seriez trois fois plus riche que vous ne l’êtes, si tout l’or que j’ai refusé était là.

— N’approchez pas du m…

— Et l’on ne me demandait cependant qu’un regard, ajouta-t-elle avec une incroyable fierté.

— Vous avez eu tort, c’était une excellente spéculation. Mais songez donc…