Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/179

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— Songez, reprit mademoiselle de Verneuil, que je viens d’entendre retentir là une voix dont un seul accent a pour moi plus de prix que toutes vos richesses.

— Vous ne les connaissez pas…

Avant que l’avare n’eût pu l’en empêcher, Marie fit mouvoir, en la touchant du doigt, une petite gravure enluminée qui représentait Louis XV à cheval, et vit tout à coup au-dessous d’elle le marquis occupé à charger un tromblon. L’ouverture cachée par le petit panneau sur lequel l’estampe était collée semblait répondre à quelque ornement dans le plafond de la chambre voisine, où sans doute couchait le général royaliste. D’Orgemont repoussa avec la plus grande précaution la vieille estampe, et regarda la jeune fille d’un air sévère.

— Ne dites pas un mot, si vous aimez la vie. Vous n’avez pas jeté, lui dit-il à l’oreille après une pause, votre grappin sur un petit bâtiment. Savez-vous que le marquis de Montauran possède pour cent mille livres de revenus en terres affermées qui n’ont pas encore été vendues. Or, un décret des Consuls, que j’ai lu dans le Primidi de l’Ille-et-Vilaine, vient d’arrêter les séquestres. Ah ! ah ! vous trouvez ce gars-là maintenant plus joli homme, n’est-ce pas ? Vos yeux brillent comme deux louis d’or tout neufs.

Les regards de mademoiselle de Verneuil s’étaient fortement animés en entendant résonner de nouveau une voix bien connue. Depuis qu’elle était là, debout, comme enfouie dans une mine d’argent, le ressort de son âme courbée sous ces événements s’était redressé. Elle semblait avoir pris une résolution sinistre et entrevoir les moyens de la mettre à exécution.

— On ne revient pas d’un tel mépris, se dit-elle, et s’il ne doit plus m’aimer, je veux le tuer, aucune femme ne l’aura.

— Non, l’abbé, non, s’écriait le jeune chef dont la voix se fît entendre, il faut que cela soit ainsi.

— Monsieur le marquis, reprit l’abbé Gudin avec hauteur, vous scandaliserez toute la Bretagne en donnant ce bal à Saint-James. C’est des prédicateurs, et non des danseurs qui remueront nos villages. Ayez des fusils et non des violons.

— L’abbé, vous avez assez d’esprit pour savoir que ce n’est que dans une assemblée générale de tous nos partisans que je verrai ce que je puis entreprendre avec eux. Un dîner me semble plus favorable pour examiner leurs physionomies et connaître leurs intentions