Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/192

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capitale, quand elle doit se montrer aux yeux d’une personne chère, au milieu d’un bal. Francine ne s’expliquait point la gaieté moqueuse de sa maîtresse. Ce n’était pas la joie de l’amour, une femme ne se trompe pas à cette expression, c’était une malice concentrée d’assez mauvais augure.

Marie drapa elle-même les rideaux de la, fenêtre par où les yeux plongeaient sur un riche panorama, puis elle approcha le canapé de la cheminée, le mit dans un jour favorable à sa figure, et dit à Francine de se procurer des fleurs, afin de donner à sa chambre un air de fête. Lorsque Francine eut apporté des fleurs, Marie en dirigea l’emploi de la manière la plus pittoresque. Quand elle eut jeté un dernier regard de satisfaction sur son appartement, elle dit à Francine d’envoyer réclamer son prisonnier chez le commandant. Elle se coucha voluptueusement sur le canapé, autant pour se reposer que pour prendre une attitude de grâce et de faiblesse dont le pouvoir est irrésistible chez certaines femmes. Une molle langueur, la pose provoquante de ses pieds, dont la pointe perçait à peine sous les plis de la robe, l’abandon du corps, la courbure du col, tout, jusqu’à l’inclinaison des doigts effilés de sa main, qui pendait d’un oreiller comme les clochettes d’une touffe de jasmin, tout s’accordait avec son regard pour exciter des séductions. Elle brûla des parfums afin de répandre dans l’air ces douces émanations qui attaquent si puissamment les fibres de l’homme, et préparent souvent les triomphes que les femmes veulent obtenir sans les solliciter. Quelques instants après, les pas pesants du vieux militaire retentirent dans le salon qui précédait la chambre.

— Eh ! bien, commandant, où est mon captif ?

— Je viens de commander un piquet de douze hommes pour le fusiller comme pris les armes à la main.

— Vous avez disposé de mon prisonnier ! dit-elle. Écoutez, commandant. La mort d’un homme ne doit pas être, après le combat, quelque chose de bien satisfaisant pour vous, si j’en crois votre physionomie.

— Eh bien ! rendez-moi mon Chouan, et mettez à sa mort un sursis que je prends sur mon compte. Je vous déclare que cet aristocrate m’est devenu très essentiel, et va coopérer à l’accomplissement de nos projets. Au surplus, fusiller cet amateur de chouannerie serait commettre un acte aussi absurde que de tirer sur un ballon quand il ne faut qu’un coup d’épingle pour le désenfler. Pour Dieu, laissez les cruautés à l’aristocratie. Les républi-