Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/193

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ques doivent être généreuses. N’auriez-vous pas pardonné, vous, aux victimes de Quiberon et à tant d’autres. Allons, envoyez vos douze hommes faire une ronde, et venez dîner chez moi avec mon prisonnier. Il n’y a plus qu’une heure de jour, et voyez-vous, ajouta-t-elle en souriant, si vous tardiez, ma toilette manquerait tout son effet.

— Mais, mademoiselle, dit le commandant surpris…

— Eh ! bien, quoi ? je vous entends. Allez, le comte ne vous échappera point. Tôt ou tard, ce gros papillon-là viendra se brûler à vos feux de peloton.

Le commandant haussa légèrement les épaules comme un homme forcé d’obéir, malgré tout, aux désirs d’une jolie femme, et il revint une demi-heure après, suivi du comte de Bauvan.

Mademoiselle de Verneuil feignit d’être surprise par ses deux convives, et parut confuse d’avoir été vue par le comte si négligemment couchée ; mais après avoir lu dans les yeux du gentilhomme que le premier effet était produit, elle se leva et s’occupa d’eux avec une grâce, avec une politesse parfaites. Rien d’étudié ni de forcé dans les poses, le sourire, la démarche ou la voix, ne trahissait sa préméditation ou ses desseins. Tout était en harmonie, et aucun trait trop saillant ne donnait à penser qu’elle affectât les manières d’un monde où elle n’eût pas vécu. Quand le Royaliste et le Républicain furent assis, elle regarda le comte d’un air sévère. Le gentilhomme connaissait assez les femmes pour savoir que l’offense commise envers celle-ci vaudrait un arrêt de mort. Malgré ce soupçon, sans être ni gai, ni triste, il eut l’air d’un homme qui ne comptait pas sur de si brusques dénouements. Bientôt, il lui sembla ridicule d’avoir peur de la mort devant une jolie femme. Enfin l’air sévère de Marie lui donna des idées.

— Et qui sait, pensait-il, si une couronne de comte à prendre ne lui plaira pas mieux qu’une couronne de marquis perdue ? Montauran est sec comme un clou, et moi… Il se regarda d’un air satisfait. Or, le moins qui puisse m’arriver est de sauver ma tête.

Ces réflexions diplomatiques furent bien inutiles. Le désir que le comte se promettait de feindre pour mademoiselle de Verneuil devint un violent caprice que cette dangereuse créature se plut à entretenir.

— Monsieur le comte, dit-elle, vous êtes mon prisonnier, et j’ai le droit de disposer de vous. Votre exécution n’aura lieu que de