Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/195

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Jugeant sans doute que Hulot était de trop pour une confidence aussi importante que celle qu’elle avait à faire, mademoiselle de Verneuil attira le comte à elle par un geste, et lui dit quelques mots à l’oreille. M. de Bauvan laissa échapper une sourde exclamation de surprise, et regarda d’un air hébété Marie, qui tout à coup compléta le souvenir qu’elle venait d’évoquer en s’appuyant à la cheminée dans l’attitude d’innocence et de naïveté d’un enfant. Le comte fléchit un genou.

— Mademoiselle, s’écria-t-il, je vous supplie de m’accorder mon pardon, quelque indigne que j’en suis.

— Je n’ai rien à pardonner, dit-elle. Vous n’avez pas plus raison maintenant dans votre repentir que dans votre insolente supposition à la Vivetière. Mais ces mystères sont au-dessus de votre intelligence. Sachez seulement, monsieur le comte, reprit-elle gravement, que la fille du duc de Verneuil a trop d’élévation dans l’âme pour ne pas vivement s’intéresser à vous.

— Même après une insulte, dit le comte avec une sorte de regret.

— Certaines personnes ne sont-elles pas trop haut situées pour que l’insulte les atteigne ? monsieur le comte, je suis du nombre.

En prononçant ces paroles, la jeune fille prit une attitude de noblesse et de fierté qui imposa au prisonnier et rendit toute cette intrigue beaucoup moins claire pour Hulot. Le commandant mit la main à sa moustache pour la retrousser, et regarda d’un air inquiet mademoiselle de Verneuil, qui lui fit un signe d’intelligence comme pour avertir qu’elle ne s’écartait pas de son plan.

— Maintenant, reprit-elle après une pause, causons. Francine, donne-nous des lumières, ma fille.

Elle amena fort adroitement la conversation sur le temps qui était, en si peu d’années, devenu l’ancien régime. Elle reporta si bien le comte à cette époque par la vivacité de ses observations et de ses tableaux ; elle donna tant d’occasions au gentilhomme d’avoir de l’esprit, par la complaisante finesse avec laquelle elle lui ménagea des reparties, que le comte finit par trouver qu’il n’avait jamais été si aimable, et cette idée l’ayant rajeuni, il essaya de faire partager à cette séduisante personne la bonne opinion qu’il avait de lui-même. Cette malicieuse fille se plut à essayer sur le comte tous les ressorts de sa coquetterie, elle put y mettre d’autant plus d’adresse que c’était un jeu pour elle. Ainsi, tantôt elle laissait croire