Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/204

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On ne sait si le besoin d’éviter les contestations a, plus que l’usage si favorable à la paresse d’enfermer les bestiaux sans les garder, conseillé de construire ces clôtures formidables dont les permanents obstacles rendent le pays imprenable, et la guerre des masses impossible. Quand on a, pas à pas, analysé cette disposition du terrain, alors se révèle l’insuccès nécessaire d’une lutte entre des troupes régulières et des partisans ; car cinq cents hommes peuvent défier les troupes d’un royaume. Là était tout le secret de la guerre des Chouans. Mademoiselle de Verneuil comprit alors la nécessité où se trouvait la République d’étouffer la discorde plutôt par des moyens de police et de diplomatie, que par l’inutile emploi de la force militaire. Que faire en effet contre des gens assez habiles pour mépriser la possession des villes et s’assurer celle de ces campagnes à fortifications indestructibles ? Comment ne pas négocier lorsque toute la force de ces paysans aveuglés résidait dans un chef habile et entreprenant ? Elle admira le génie du ministre qui devinait du fond d’un cabinet le secret de la paix. Elle crut entrevoir les considérations qui agissent sur les hommes assez puissants pour voir tout un empire d’un regard, et dont les actions, criminelles aux yeux de la foule, ne sont que les jeux d’une pensée immense. Il y a chez ces âmes terribles, on ne sait quel partage entre le pouvoir de la fatalité et celui du destin, on ne sait quelle prescience dont les signes les élèvent tout à coup ; la foule les cherche un moment parmi elle, elle lève les yeux et les voit planant. Ces pensées semblaient justifier et même ennoblir les désirs de vengeance formés par mademoiselle de Verneuil ; puis, ce travail de son âme et ses espérances lui communiquaient assez d’énergie pour lui faire supporter les étranges fatigues de son voyage.

Au bout de chaque héritage, Galope-chopine était forcé de faire descendre les deux voyageuses pour les aider à gravir les passages difficiles, et lorsque les rotes cessaient, elles étaient obligées de reprendre leurs montures et de se hasarder dans ces chemins fangeux qui se ressentaient de l’approche de l’hiver. La combinaison de ces grands arbres, des chemins creux et des clôtures, entretenait dans les bas-fonds une humidité qui souvent enveloppait les trois voyageurs d’un manteau de glace. Après de pénibles fatigues, ils atteignirent, au lever du soleil, les bois de Marignay. Le voyage devint alors moins difficile dans le large sentier de la forêt. La voûte