Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/23

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un panier que d’avoir du courage hors de propos. — Gérard, dit-il ensuite en se penchant à l’oreille de son adjudant, approchez-vous insensiblement de ce brigand ; et au moindre mouvement suspect, soyez prêt à lui passer votre épée au travers du corps. Quant à moi, je vais prendre des mesures pour soutenir la conversation, si nos inconnus veulent bien l’entamer.

Gérard inclina légèrement la tête en signe d’obéissance, puis il se mit à contempler les points de vue de cette vallée avec laquelle on a pu se familiariser ; il parut vouloir les examiner plus attentivement et marcha pour ainsi dire sur lui-même et sans affectation ; mais on pense bien que le paysage était la dernière chose qu’il observa. De son côté, Marche-à-terre laissa complètement ignorer si la manœuvre de l’officier le mettait en péril ; à la manière dont il jouait avec le bout de son fouet, on eût dit qu’il pêchait à la ligne dans le fossé.

Pendant que Gérard essayait ainsi de prendre position devant le Chouan, le commandant dit tout bas à Merle : — Donnez dix hommes d’élite à un sergent et allez les poster vous-même au-dessus de nous, à l’endroit du sommet de cette côte où le chemin s’élargit en formant un plateau, et d’où vous apercevrez un bon ruban de queue de la route d’Ernée. Choisissez une place où le chemin ne soit pas flanqué de bois et d’où le sergent puisse surveiller la campagne. Appelez La-clef-des-cœurs, il est intelligent. Il n’y a point de quoi rire, je ne donnerai pas un décime de notre peau, si nous ne prenons pas notre bisque.

Pendant que le capitaine Merle exécutait cet ordre avec une promptitude dont l’importance fut comprise, le commandant agita la main droite pour réclamer un profond silence des soldats qui l’entouraient et causaient en jouant. Il ordonna, par un autre geste, de reprendre les armes. Lorsque le calme fut établi, il porta les yeux d’un côté de la route à l’autre, écoutant avec une attention inquiète, comme s’il espérait surprendre quelque bruit étouffé, quelques sons d’armes ou des pas précurseurs de la lutte attendue. Son œil noir et perçant semblait sonder les bois à des profondeurs extraordinaires ; mais ne recueillant aucun indice, il consulta le sable de la route, à la manière des Sauvages, pour tâcher de découvrir quelques traces de ces invisibles ennemis dont l’audace lui était connue. Désespéré de ne rien apercevoir qui justifiât ses craintes, il s’avança vers les côtés de la route,