Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/256

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avait sauté, et le virent alors courant dans le champ avec une incroyable célérité.

— Feu, feu, mille noms d’un diable ! Vous n’êtes pas Français, feu donc, mâtins ! cria Hulot d’une voix tonnante.

Au moment où il prononçait ces paroles du haut de l’éminence, ses hommes et ceux de Gudin firent une décharge générale qui heureusement fut mal dirigée. Déjà le marquis arrivait à l’échalier qui terminait le premier champ ; mais au moment où il passait dans le second, il faillit être atteint par Gudin qui s’était élancé sur ses pas avec violence. En entendant ce redoutable adversaire à quelques toises, le Gars redoubla de vitesse. Néanmoins, Gudin et le marquis arrivèrent presque en même temps à l’échalier ; mais Montauran lança si adroitement son tromblon à la tête de Gudin, qu’il le frappa et en retarda la marche. Il est impossible de dépeindre l’anxiété de Marie et l’intérêt que manifestaient à ce spectacle Hulot et sa troupe. Tous, ils répétaient silencieusement, à leur insu, les gestes des deux coureurs. Le Gars et Gudin parvinrent ensemble au rideau blanc de givre formé par le petit bois ; mais l’officier rétrograda tout à coup et s’effaça derrière un pommier. Une vingtaine de Chouans, qui n’avaient pas tiré de peur de tuer leur chef, se montrèrent et criblèrent l’arbre de balles. Toute la petite troupe de Hulot s’élança au pas de course pour sauver Gudin, qui, se trouvant sans armes, revenait de pommier en pommier, en saisissant, pour courir, le moment où les Chasseurs du Roi chargeaient leurs armes. Son danger dura peu. Les Contre-Chouans mêlés aux Bleus, et Hulot à leur tête, vinrent soutenir le jeune officier à la place où le marquis avait jeté son tromblon. En ce moment, Gudin aperçut son adversaire tout épuisé, assis sous un des arbres du petit bouquet de bois ; il laissa ses camarades se canardant avec les Chouans retranchés derrière une haie latérale du champ, il les tourna et se dirigea vers le marquis avec la vivacité d’une bête fauve. En voyant cette manœuvre, les Chasseurs du Roi poussèrent d’effroyables cris pour avertir leur chef ; puis, après avoir tiré sur les Contre-Chouans avec le bonheur qu’ont les braconniers, ils essayèrent de leur tenir tête ; mais ceux-ci gravirent courageusement la haie qui servait de remparts à leurs ennemis, et y prirent une sanglante revanche. Les Chouans gagnèrent alors le chemin qui longeait le champ dans l’enceinte duquel cette scène avait lieu, et s’emparèrent des hauteurs que Hulot avait commis la faute d’aban-