Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/258

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de partager ces haillons. Formez vos rangs, et plus vite que ça.

— Mon commandant, dit un soldat en montrant à Hulot ses souliers, au bout desquels les cinq doigts de ses pieds se voyaient à nu, bon pour l’argent ; mais cette chaussure-là, ajouta-t-il en montrant avec la crosse de son fusil la paire de souliers ferrés, cette chaussure-là, mon commandant, m’irait comme un gant.

— Tu veux à tes pieds des souliers anglais ! lui répliqua Hulot.

Commandant, dit respectueusement un des Fougerais, nous avons, depuis la guerre, toujours partagé le butin.

— Je ne vous empêche pas, vous autres, de suivre vos usages, répliqua durement Hulot en l’interrompant.

— Tiens, Gudin, voilà une bourse là qui contient trois louis, tu as eu de la peine, ton chef ne s’opposera pas à ce que tu la prennes, dit à l’officier l’un de ses anciens camarades.

Hulot regarda Gudin de travers, et le vit pâlissant.

— C’est la bourse de mon oncle, s’écria le jeune homme.

Tout épuisé qu’il était par la fatigue, il fit quelques pas vers le monceau de cadavres, et le premier corps qui s’offrit à ses regards fut précisément celui de son oncle ; mais à peine en vit-il le visage rubicond sillonné de bandes bleuâtres, les bras roidis, et la plaie faite par le coup de feu, qu’il jeta un cri étouffé et s’écria : — Marchons, mon commandant.

La troupe de Bleus se mit en route. Hulot soutenait son jeune ami en lui donnant le bras.

— Tonnerre de Dieu, cela ne sera rien, lui disait le vieux soldat.

— Mais il est mort, répondit Gudin, mort ! C’était mon seul parent, et, malgré ses malédictions, il m’aimait. Le Roi revenu, tout le pays aurait voulu ma tête, le bonhomme m’aurait caché sous sa soutane.

— Est-il bête ! disaient les gardes nationaux restés à se partager les dépouilles ; le bonhomme est riche, et comme ça, il n’a pas eu le temps de faire un testament par lequel il l’aurait déshérité.

Le partage fait, les Contre-Chouans rejoignirent le petit bataillon de Bleus et le suivirent de loin.

Une horrible inquiétude se glissa, vers la nuit, dans la chaumière de Galope-chopine, où jusqu’alors la vie avait été si naïvement insoucieuse. Barbette et son petit gars portant tous deux sur leur dos, l’une sa pesante charge d’ajoncs, l’autre une provision d’herbes pour les bestiaux, revinrent à l’heure où la famille prenait le repas