Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/295

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Cependant Corentin, ayant entendu tomber du haut de l’échelle un des personnages aériens qu’il avait signalés au commandant, soupçonna quelque piège.

— Pas un de ces animaux-là ne chante, dit-il à Hulot, nos deux amants sont bien capables de nous amuser ici par quelque ruse, tandis qu’ils se sauvent peut-être par un autre côté…

L’espion, impatient d’éclaircir le mystère, envoya le fils de Galope-chopine chercher des torches. La supposition de Corentin avait été si bien comprise de Hulot, que le vieux soldat, préoccupé par le bruit d’un engagement très sérieux qui avait lieu devant le poste de Saint-Léonard, s’écria : — C’est vrai, ils ne peuvent pas être deux.

Et il s’élança vers le corps de garde.

— On lui a lavé la tête avec du plomb, mon commandant, lui dit Beau-pied qui venait à la rencontre de Hulot ; mais il a tué Gudin et blessé deux hommes. Ah ! l’enragé ! il avait enfoncé trois rangées de nos lapins, et aurait gagné les champs sans le factionnaire de la porte Saint-Léonard qui l’a embroché avec sa baïonnette.

En entendant ces paroles, le commandant se précipita dans le corps de garde, et vit sur le lit de camp un corps ensanglanté que l’on venait d’y placer ; il s’approcha du prétendu marquis, leva le chapeau qui en couvrait la figure, et tomba sur une chaise.

— Je m’en doutais, s’écria-t-il en se croisant les bras avec force ; elle l’avait, sacré tonnerre, gardé trop longtemps.

Tous les soldats restèrent immobiles. Le commandant avait fait dérouler les longs cheveux noirs d’une femme. Tout à coup le silence fut interrompu par le bruit d’une multitude armée. Corentin entra dans le corps de garde en précédant quatre soldats qui, sur leurs fusils placés en forme de civière, portaient Montauran, auquel plusieurs coups de feu avaient cassé les deux cuisses et les bras. Le marquis fut déposé sur le lit de camp auprès de sa femme, il l’aperçut et trouva la force de lui prendre la main par un geste convulsif. La mourante tourna péniblement la tête, reconnut son mari, frissonna par une secousse horrible à voir, et murmura ces paroles d’une voix presque éteinte : — Un jour sans lendemain !… Dieu m’a trop bien exaucée.

— Commandant, dit le marquis en rassemblant toutes ses forces et sans quitter la main de Marie, je compte sur votre probité pour annoncer ma mort à mon jeune frère qui se trouve à Londres,