Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/301

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le palmier en plusieurs morceaux dans cette journée ; mais il réussit à l’abattre. Quand, vers le soir, ce roi du désert tomba, le bruit de sa chute retentit au loin, et ce fut comme un gémissement poussé par la solitude ; le soldat en frémit comme s’il eût entendu quelque voix lui prédire un malheur. Mais, comme un héritier qui ne s’apitoie pas longtemps sur la mort d’un parent, il dépouilla ce bel arbre des larges et hautes feuilles vertes qui en sont le poétique ornement, et s’en servit pour réparer la natte sur laquelle il allait se coucher. Fatigué par la chaleur et le travail, il s’endormit sous les lambris rouges de sa grotte humide. Au milieu de la nuit son sommeil fut troublé par un bruit extraordinaire. Il se dressa sur son séant, et le silence profond qui régnait lui permit de reconnaître l’accent alternatif d’une respiration dont la sauvage énergie ne pouvait appartenir à une créature humaine. Une profonde peur, encore augmentée par l’obscurité, par le silence et par les fantaisies du réveil lui glaça le cœur. Il sentit même à peine la douloureuse contraction de sa chevelure quand, à force de dilater les pupilles de ses yeux, il aperçut dans l’ombre deux lueurs faibles et jeunes. D’abord il attribua ces lumières à quelque reflet de ses prunelles ; mais bientôt, le vif éclat de la nuit l’aidant par degrés à distinguer les objets qui se trouvaient dans la grotte, il aperçut un énorme animal couché à deux pas de lui. Était-ce un lion, un tigre, ou un crocodile ? Le Provençal n’avait pas assez d’instruction pour savoir dans quel sous-genre était classé son ennemi ; mais son effroi fut d’autant plus violent que son ignorance lui fit supposer tous les malheurs ensemble. Il endura le cruel supplice d’écouter, de saisir les caprices de cette respiration, sans en rien perdre, et sans oser se permettre le moindre mouvement. Une odeur aussi forte que celle exhalée par les renards, mais plus pénétrante, plus grave pour ainsi dire, remplissait la grotte ; et quand le Provençal l’eut dégustée du nez, sa terreur fut au comble, car il ne pouvait plus révoquer en doute l’existence du terrible compagnon, dont l’antre royal lui servait de bivouac. Bientôt les reflets de la lune qui se précipitait vers l’horizon éclairant la tanière firent insensiblement resplendir la peau tachetée d’une panthère. Ce lion d’Égypte dormait, roulé comme un gros chien, paisible possesseur d’une niche somptueuse à la porte d’un hôtel ; ses yeux, ouverts pendant un moment, s’étaient refermés. Il avait la face tournée vers le Français. Mille pensées confuses passèrent dans l’âme du prisonnier de la panthère ; d’abord il vou-