Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/302

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lut la tuer d’un coup de fusil ; mais il s’aperçut qu’il n’y avait pas assez d’espace entre elle et lui pour l’ajuster, le canon aurait dépassé l’animal. Et s’il l’éveillait ? Cette hypothèse le rendit immobile. En écoutant battre son cœur au milieu du silence, il maudissait les pulsations trop fortes que l’affluence du sang y produisait, redoutant de troubler ce sommeil qui lui permettait de chercher un expédient salutaire. Il mit la main deux fois sur son cimeterre dans le dessein de trancher la tête à son ennemi ; mais la difficulté de couper un poil ras et dur l’obligea de renoncer à son hardi projet. — La manquer ? ce serait mourir sûrement, pensa-t-il. Il préféra les chances d’un combat, et résolut d’attendre le jour. Et le jour ne se fit pas longtemps désirer. Le Français put alors examiner la panthère ; elle avait le museau teint de sang. — Elle a bien mangé !… pensa-t-il sans s’inquiéter si le festin avait été composé de chair humaine, elle n’aura pas faim à son réveil.

C’était une femelle. La fourrure du ventre et des cuisses étincelait de blancheur. Plusieurs petites taches, semblables à du velours, formaient de jolis bracelets autour des pattes. La queue musculeuse était également blanche, mais terminée par des anneaux noirs. Le dessus de la robe, jaune comme de l’or mat, mais bien lisse et doux, portait ces mouchetures caractéristiques, nuancées en forme de roses, qui servent à distinguer les panthères des autres espèces de felis. Cette tranquille et redoutable hôtesse ronflait dans une pose aussi gracieuse que celle d’une chatte couchée sur le coussin d’une ottomane. Ses sanglantes pattes, nerveuses et bien armées, étaient en avant de sa tête qui reposait dessus, et de laquelle partaient ces barbes rares et droites, semblables à des fils d’argent. Si elle avait été ainsi dans une cage, le Provençal aurait certes admiré la grâce de cette bête et les vigoureux contrastes des couleurs vives qui donnaient à sa simarre un éclat impérial ; mais en ce moment il sentait sa vue troublée par cet aspect sinistre. La présence de la panthère, même endormie, lui faisait éprouver l’effet que les yeux magnétiques du serpent produisent, dit-on, sur le rossignol. Le courage du soldat finit par s’évanouir un moment devant ce danger, tandis qu’il se serait sans doute exalté sous la bouche des canons vomissant la mitraille. Cependant, une pensée intrépide se fit jour en son âme, et tarit, dans sa source, la sueur froide qui lui découlait du front. Agissant comme les hommes qui, poussés à bout par le malheur, arrivent à défier la mort et s’offrent