Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/316

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nœuvre, la théorie de l’escrime à cheval et les difficultés de l’art vétérinaire, ses études furent prodigieusement négligées. Il savait, mais vaguement, que César était un consul ou un empereur romain ; Alexandre, un Grec ou un Macédonien ; il vous eût accordé l’une ou l’autre origine ou qualité sans discussion. Aussi, dans les conversations scientifiques ou historiques, devenait-il grave, en se bornant à y participer par des petits coups de tête approbatifs, comme un homme profond arrivé au pyrrhonisme. Quand Napoléon écrivit à Schoenbrunn, le 13 mai 1809, dans le bulletin adressé à la Grande Armée, maîtresse de Vienne, que, comme Médée, les princes autrichiens avaient de leurs propres mains égorgé leurs enfants, Genestas, nouvellement nommé capitaine, ne voulut pas compromettre la dignité de son grade en demandant ce qu’était Médée, il s’en reposa sur le génie de Napoléon, certain que l’empereur ne devait dire que des choses officielles à la Grande Armée et à la maison d’Autriche ; il pensa que Médée était une archiduchesse de conduite équivoque. Néanmoins, comme la chose pouvait concerner l’art militaire, il fut inquiet de la Médée du bulletin, jusqu’au jour où mademoiselle Raucourt fit reprendre Médée. Après avoir lu l’affiche, le capitaine ne manqua pas de se rendre le soir au Théâtre-Français pour voir la célèbre actrice dans ce rôle mythologique dont il s’enquit à ses voisins. Cependant un homme qui, simple soldat, avait eu assez d’énergie pour apprendre à lire, écrire et compter, devait comprendre que, capitaine, il fallait s’instruire. Aussi, depuis cette époque, lut-il avec ardeur les romans et les livres nouveaux qui lui donnèrent des demi-connaissances desquelles il tirait un assez bon parti. Dans sa gratitude envers ses professeurs, il allait jusqu’à prendre la défense de Pigault-Lebrun en disant qu’il le trouvait instructif et souvent profond.

Cet officier, à qui sa prudence acquise ne laissait faire aucune démarche inutile, venait de quitter Grenoble et se dirigeait vers la Grande-Chartreuse, après avoir obtenu la veille de son colonel un congé de huit jours. Il ne comptait pas faire une longue traite ; mais, trompé de lieue en lieue par les dires mensongers des paysans qu’il interrogeait, il crut prudent de ne pas s’engager plus loin sans se réconforter l’estomac. Quoiqu’il eût peu de chances de rencontrer une ménagère en son logis par un temps où chacun s’occupe aux champs, il s’arrêta devant quelques chaumières qui aboutissaient à un espace commun, en décrivant une place carrée