Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/323

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriétaire une insouciance qui parut déplaire à l’officier, il fronça les sourcils en homme contraint de renoncer à quelque illusion. Nous sommes habitués à juger les autres d’après nous, et si nous les absolvons complaisamment de nos défauts, nous les condamnons sévèrement de ne pas avoir nos qualités. Si le commandant voulait que monsieur Benassis fût un homme soigneux ou méthodique, certes, la porte de sa maison annonçait une complète indifférence en matière de propriété. Un soldat amoureux de l’économie domestique autant que l’était Genestas devait donc conclure promptement du portail à la vie et au caractère de l’inconnu ; ce à quoi, malgré sa circonspection, il ne manqua point. La porte était entrebâillée, autre insouciance ! Sur la foi de cette confiance rustique, l’officier s’introduisit sans façon dans la cour, attacha son cheval aux barreaux de la grille, et pendant qu’il y nouait la bride, un hennissement partit d’une écurie vers laquelle le cheval et le cavalier tournèrent involontairement les yeux ; un vieux domestique en ouvrit la porte, montra sa tête coiffée du bonnet de laine rouge en usage dans le pays, et qui ressemble parfaitement au bonnet phrygien dont on affuble la Liberté. Comme il y avait place pour plusieurs chevaux, le bonhomme, après avoir demandé à Genestas s’il venait voir monsieur Benassis, lui offrit pour son cheval l’hospitalité de l’écurie, en regardant avec une expression de tendresse et d’admiration l’animal qui était fort beau. Le commandant suivit son cheval, pour voir comment il allait se trouver. L’écurie était propre, la litière y abondait, et les deux chevaux de Benassis avaient cet air heureux qui fait reconnaître entre tous les chevaux un cheval de curé. Une servante, arrivée de l’intérieur de la maison sur le perron, semblait attendre officiellement les interrogations de l’étranger, à qui déjà le valet d’écurie avait appris que monsieur Benassis était sorti.

— Notre maître est allé au moulin à blé, dit-il. Si vous voulez l’y rejoindre, vous n’avez qu’à suivre le sentier qui mène à la prairie, le moulin est au bout.

Genestas aima mieux voir le pays que d’attendre indéfiniment le retour de Benassis, et s’engagea dans le chemin du moulin à blé. Quand il eut dépassé la ligne inégale que trace le bourg sur le flanc de la montagne, il aperçut la vallée, le moulin, et l’un des plus délicieux paysages qu’il eût encore vus.

Arrêtée par la base des montagnes, la rivière forme un petit lac