Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/338

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rabattre quoique à regret, de la haute opinion qu’il avait prise en admirant sa persistance à sauver ce petit pays des malheurs du crétinisme.

— Il ne me revient pas du tout ce particulier, dit Jacquotte.

— Si vous n’êtes pas fatigué, monsieur, dit le médecin à son prétendu malade, nous ferons un tour de jardin avant le dîner.

— Volontiers, répondit le commandant.

Ils traversèrent la salle à manger, et entrèrent dans le jardin par une espèce d’antichambre ménagée au bas de l’escalier, et qui séparait la salle à manger du salon. Cette pièce, fermée par une grande porte-fenêtre, était contiguë au perron de pierre, ornement de la façade sur le jardin. Divisé en quatre grands carrés égaux par des allées bordées de buis qui dessinaient une croix, ce jardin était terminé par une épaisse charmille, bonheur du précédent propriétaire. Le militaire s’assit sur un banc de bois vermoulu, sans voir ni les treilles, ni les espaliers, ni les légumes desquels Jacquotte prenait grand soin par suite des traditions du gourmand ecclésiastique auquel était dû ce jardin précieux, assez indifférent à Benassis.

Quittant la conversation banale qu’il avait engagée, le commandant dit au médecin : — Comment avez-vous fait, monsieur, pour tripler en dix ans la population de cette vallée où vous aviez trouvé sept cents âmes, et qui, dites-vous, en compte aujourd’hui plus de deux mille ?

— Vous êtes la première personne qui m’ait fait cette question, répondit le médecin. Si j’ai eu pour but de mettre en plein rapport ce petit coin de terre, l’entraînement de ma vie occupée ne m’a pas laissé le loisir de songer à la manière dont j’ai fait en grand, comme le frère quêteur, une espèce de soupe au caillou. Monsieur Gravier lui-même, un de nos bienfaiteurs et à qui j’ai pu rendre le service de le guérir, n’a pas pensé à la théorie en courant avec moi à travers nos montagnes pour y voir le résultat de la pratique.

Il y eut un moment de silence, pendant lequel Benassis se mit à réfléchir sans prendre garde au regard perçant par lequel son hôte essayait de le pénétrer.

— Comment cela s’est fait, mon cher monsieur ? reprit-il, mais naturellement et en vertu d’une loi sociale d’attraction entre les nécessités que nous nous créons et les moyens de les satisfaire. Tout est là. Les peuples sans besoins sont pauvres. Quand je vins m’é-