Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/369

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campagnes le deuil n’existe donc pas. Or, monsieur, le deuil n’est ni un usage ni une loi ; c’est bien mieux, c’est une institution qui tient à toutes les lois dont l’observation dépend d’un même principe, la morale. Eh ! bien, malgré, nos efforts, ni moi ni monsieur Janvier nous n’avons pu réussir à faire comprendre à nos paysans de quelle importance sont les démonstrations publiques pour le maintien de l’ordre social. Ces braves gens, émancipés d’hier, ne sont pas aptes encore à saisir les rapports nouveaux qui doivent les attacher à ces pensées générales ; ils n’en sont maintenant qu’aux idées qui engendrent l’ordre et le bien-être physique : plus tard, si quelqu’un continue mon œuvre, ils arriveront aux principes qui servent à conserver les droits publics. Il ne suffit pas en effet d’être honnête homme, il faut le paraître. La société ne vit pas seulement par des idées morales ; pour subsister, elle a besoin d’actions en harmonie avec ces idées. Dans la plupart des communes rurales, sur une centaine de familles que la mort a privées de leur chef, quelques individus seulement, doués d’une sensibilité vive, garderont de cette mort un long souvenir ; mais tous les autres l’auront complètement oubliée dans l’année. Cet oubli n’est-il pas une grande plaie ? Une religion est le cœur d’un peuple, elle exprime ses sentiments et les agrandit en leur donnant une fin ; mais sans un Dieu visiblement honoré, la religion n’existe pas, et partant, les lois humaines n’ont aucune vigueur. Si la conscience appartient à Dieu seul, le corps tombe sous la loi sociale, or, n’est-ce pas un commencement d’athéisme que d’effacer ainsi les signes d’une douleur religieuse, de ne pas indiquer fortement aux enfants qui ne réfléchissent pas encore, et à tous les gens qui ont besoin d’exemples, la nécessité d’obéir aux lois par une résignation patente aux ordres de la Providence qui frappe et console, qui donne et ôte les biens de ce monde ? J’avoue qu’après avoir passé par des jours d’incrédulité moqueuse, j’ai compris ici la valeur des cérémonies religieuses, celle des solennités de famille, l’importance des usages et des fêtes du foyer domestique. La base des sociétés humaines sera toujours la famille. Là commence l’action du pouvoir et de la loi, là du moins doit s’apprendre l’obéissance. Vus dans toutes leurs conséquences, l’esprit de famille et le pouvoir paternel sont deux principes encore trop peu développés dans notre nouveau système législatif. La Famille, la Commune, le Département, tout notre pays est pourtant là. Les lois devraient donc être