Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diquait le séjour habituel d’une quarantaine de personnes. L’arrivée de Benassis interrompit les discours d’une femme de grande taille, vêtue simplement, dont les cheveux étaient épars, et qui gardait dans sa main la main du mort par un geste éloquent. Celui-ci, vêtu de ses meilleurs habillements, était étendu roide sur son lit, dont les rideaux avaient été relevés. Cette figure calme, qui respirait le ciel, et surtout les cheveux blancs, produisaient un effet théâtral. De chaque côté du lit se tenaient les enfants et les plus proches parents des époux, chaque ligne gardant son côté, les parents de la femme à gauche, ceux du défunt à droite. Hommes et femmes étaient agenouillés et priaient, la plupart pleuraient. Des cierges environnaient le lit. Le curé de la Paroisse et son cierge avaient leur place au milieu de la chambre, autour de la bière ouverte. C’était un tragique spectacle, que de voir le chef de cette famille en présence d’un cercueil prêt à l’engloutir pour toujours.

— Ah ! mon cher seigneur, dit la veuve en montrant le médecin, si la science du meilleur des hommes n’a pu te sauver, il était donc écrit là-haut que tu me précéderais dans la fosse ! Oui, la voilà froide cette main qui me pressait avec tant d’amitié ! J’ai perdu pour toujours ma chère compagnie, et notre maison a perdu son précieux chef, car tu étais vraiment notre guide. Hélas ! tous ceux qui te pleurent avec moi ont bien connu la lumière de ton cœur et toute la valeur de ta personne, mais moi seule savais combien tu étais doux et patient ! Ah ! mon époux, mon homme, faut donc te dire adieu, à toi notre soutien, à toi mon bon maître ! Et nous tes enfants, car tu chérissais chacun de nous également, nous avons tous perdu notre père !

La veuve se jeta sur le corps, l’étreignit, le couvrit de larmes, l’échauffa de baisers, et pendant cette pause, les serviteurs crièrent : — Le maître est mort !

— Oui, reprit la veuve, il est mort, ce cher homme bien-aimé qui nous donnait notre pain, qui plantait, récoltait pour nous, et veillait à notre bonheur en nous conduisant dans la vie avec un commandement plein de douceur ; je puis le dire maintenant à sa louange, il ne m’a jamais donné le plus léger chagrin, il était bon, fort, patient, et, quand nous le torturions pour lui rendre sa précieuse santé : « Laissez-moi, mes enfants, tout est inutile ! » nous disait ce cher agneau de la même voix dont il nous disait quelques jours auparavant : « Tout va bien, mes amis ! » Oui, grand Dieu !