Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/395

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noble, y vendait ses tuiles et ses briques ; puis il revenait chez lui vers le milieu de la journée, retournait à la ville pendant la nuit ; il paraissait se multiplier. Vers la fin de la première année, il prit deux petits gars pour l’aider. Voyant cela, je lui prêtai quelque argent. Eh ! bien, monsieur, d’année en année, le sort de cette famille s’améliora. Dès la seconde année, les deux vieilles mères ne façonnèrent plus de briques, ne broyèrent plus de pierres ; elles cultivèrent les petits jardins, firent la soupe, raccommodèrent les habits, filèrent pendant la soirée et allèrent au bois pendant le jour. La jeune femme, qui sait lire et écrire, tint les comptes. Vigneau eut un petit cheval pour courir dans les environs, y chercher des pratiques ; puis, il étudia l’art du briquetier, trouva le moyen de fabriquer de beaux carreaux blancs et les vendit au-dessous du cours. La troisième année il eut une charrette et deux chevaux. Quand il monta son premier équipage sa femme devint presque élégante. Tout s’accorda dans son ménage avec ses gains, et toujours il y maintint l’ordre, l’économie, la propreté, principes générateurs de sa petite fortune. Il put enfin avoir six ouvriers et les paya bien ; il eut un charretier et mit tout chez lui sur un très-bon pied ; bref, petit à petit, en s’ingéniant, en étendant ses travaux et son commerce, il s’est trouvé dans l’aisance. L’année dernière, il a acheté la tuilerie ; l’année prochaine, il rebâtira sa maison. Maintenant toutes ces bonnes gens sont bien portants et bien vêtus. La femme maigre et pâle, qui d’abord partageait les soucis et les inquiétudes du maître, est redevenue grasse, fraîche et jolie. Les deux vieilles mères sont très heureuses et vaquent aux menus détails de la maison et du commerce. Le travail a produit l’argent, et l’argent, en donnant la tranquillité, a rendu la santé, l’abondance et la joie. Vraiment ce ménage est pour moi la vivante histoire de ma Commune et celle des jeunes États commerçants. Cette tuilerie, que je voyais jadis morne, vide, malpropre, improductive, est maintenant en plein rapport, bien habitée, animée, riche et approvisionnée. Voici pour une bonne somme de bois, et tous les matériaux nécessaires aux travaux de la saison ; car vous savez que l’on ne fabrique la tuile que pendant un certain temps de l’année, entre juin et septembre. Cette activité ne fait-elle pas plaisir ? Mon tuilier a coopéré à toutes les constructions du bourg. Toujours éveillé, toujours allant et venant, toujours actif, il est nommé le dévorant par les gens du Canton.