Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/418

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— Il me faudra donc crever de langueur et de chagrin ? J’étouffe quand je suis dans une ville. Je ne peux pas durer plus d’une journée à Grenoble quand j’y mène Louise.

— Nous avons tous des penchants qu’il faut savoir ou combattre, ou rendre utiles à nos semblables. Mais il est tard, je suis pressé, tu viendras me voir demain en m’apportant ton fusil, nous causerons de tout cela, mon enfant. Adieu. Vends ton chamois à Grenoble.

Les deux cavaliers s’en allèrent.

— Voilà ce que j’appelle un homme, dit Genestas.

— Un homme en mauvais chemin, répondit Benassis. Mais que faire ? Vous l’avez entendu. N’est-il pas déplorable de voir se perdre de si belles qualités ? Que l’ennemi envahisse la France, Butifer, à la tête de cent jeunes gens, arrêterait dans la Maurienne une division pendant un mois ; mais en temps de paix, il ne peut déployer son énergie que dans des situations où les lois sont gravées. Il lui faut une force quelconque à vaincre ; quand il ne risque pas sa vie, il lutte avec la Société, il aide les contrebandiers. Ce gaillard-là passe le Rhône, seul sur une petite barque, pour porter des souliers en Savoie ; il se sauve tout chargé sur un pic inaccessible, où il peut rester deux jours en vivant avec des croûtes de pain. Enfin, il aime le danger comme un autre aime le sommeil. À force de goûter le plaisir que donnent des sensations extrêmes, il s’est mis en dehors de la vie ordinaire. Moi je ne veux pas qu’en suivant la pente insensible d’une voie mauvaise, un pareil homme devienne un brigand et meure sur un échafaud. Mais voyez, capitaine, comment se présente notre bourg ?

Genestas aperçut de loin une grande place circulaire, plantée d’arbres, au milieu de laquelle était une fontaine entourée de peupliers. L’enceinte en était marquée par des talus sur lesquels s’élevaient trois rangées d’arbres différents : d’abord des acacias, puis des vernis du Japon, et, sur le haut du couronnement, de petits ormes.

— Voilà le champ où se tient notre foire, dit Benassis. Puis la grande rue commence par les deux belles maisons dont je vous ai parlé, celle du juge de paix et celle du notaire.

Ils entrèrent alors dans une large rue assez soigneusement pavée en gros cailloux, de chaque côté de laquelle se trouvait une centaine de maisons neuves presque toutes séparées par des jardins.