Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/465

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maximes d’ordre, ni la force des préjugés ; mais bonheur complet, comme l’est celui d’un enfant. Le premier amour n’est-il pas une seconde enfance jetée à travers nos jours de peine et de labeur ? Il se rencontre des hommes qui apprennent la vie tout à coup, la jugent ce qu’elle est, voient les erreurs du monde pour en profiter, les préceptes sociaux pour les tourner à leur avantage, et qui savent calculer la portée de tout. Ces hommes froids sont sages selon les lois humaines. Puis il existe de pauvres poëtes, gens nerveux qui sentent vivement, et qui font des fautes ; j’étais de ces derniers. Mon premier attachement ne fut pas d’abord une passion vraie, je suivis mon instinct et non mon cœur. Je sacrifiai une pauvre fille à moi-même, et ne manquai pas d’excellentes raisons pour me persuader que je ne faisais rien de mal. Quant à elle, c’était le dévouement même, un cœur d’or, un esprit juste, une belle âme. Elle ne m’a jamais donné que d’excellents conseils. D’abord, son amour réchauffa mon courage ; puis elle me contraignit doucement à reprendre mes études, en croyant à moi, me prédisant des succès, la gloire, la fortune. Aujourd’hui la science médicale touche à toutes les sciences, et s’y distinguer est une gloire difficile, mais bien récompensée. La gloire est toujours une fortune à Paris. Cette bonne jeune fille s’oublia pour moi, partagea ma vie dans tous ses caprices, et son économie nous fit trouver du luxe dans ma médiocrité. J’eus plus d’argent pour mes fantaisies quand nous fûmes deux que lorsque j’étais seul. Ce fut, monsieur, mon plus beau temps. Je travaillais avec ardeur, j’avais un but, j’étais encouragé ; je rapportais mes pensées, mes actions, à une personne qui savait se faire aimer, et mieux encore m’inspirer une profonde estime par la sagesse qu’elle déployait dans une situation où la sagesse semble impossible. Mais tous mes jours se ressemblaient, monsieur. Cette monotonie du bonheur, l’état le plus délicieux qu’il y ait au monde, et dont le prix n’est apprécié qu’après toutes les tempêtes du cœur, ce doux état où la fatigue de vivre n’existe plus, où les plus sécrètes pensées s’échangent, où l’on est compris ; hé ! bien, pour un homme ardent, affamé de distinctions sociales, qui se lassait de suivre la gloire parce qu’elle marche d’un pied trop lent, ce bonheur fut bientôt à charge. Mes anciens rêves revinrent m’assaillir. Je voulais impétueusement les plaisirs de la richesse, et les demandais au nom de l’amour. J’exprimais naïvement ces désirs, lorsque, le soir, j’étais interrogé