Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/476

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jolis mots sont vides, tandis qu’en elle l’esprit était plein de sens. Enfin, elle avait surtout un sentiment profond de sa dignité qui imprimait le respect ; je ne sais rien de plus beau pour une épouse. Je m’arrête, capitaine ! on ne peint jamais que très-imparfaitement une femme aimée ; entre elle et nous il préexiste des mystères qui échappent à l’analyse. Ma confidence fut bientôt faite à mon vieil ami, qui me présenta dans la famille, où il m’appuya de sa respectable autorité. Quoique reçu d’abord avec cette froide politesse particulière aux personnes exclusives qui n’abandonnent plus les amis qu’elles ont une fois adoptés, plus tard je parvins à être accueilli familièrement. Je dus sans doute ce témoignage d’estime à la conduite que je tins en cette occurrence. Malgré ma passion, je ne fis rien qui pût me déshonorer à mes yeux, je n’eus aucune complaisance servile, je ne flattai point ceux de qui dépendait ma destinée, je me montrai tel que j’étais, et homme avant tout. Lorsque mon caractère fut bien connu, mon vieil ami, désireux autant que moi de voir finir mon triste célibat, parla de mes espérances, auxquelles on fit un favorable accueil, mais avec cette finesse dont se dépouillent rarement les gens du monde, et dans le désir de me procurer un bon mariage, expression qui fait d’un acte si solennel une sorte d’affaire commerciale où l’un des deux époux cherche à tromper l’autre, le vieillard garda le silence sur ce qu’il nommait une erreur de ma jeunesse. Selon lui, l’existence de mon enfant exciterait des répulsions morales en comparaison desquelles la question de fortune ne serait rien et qui détermineraient une rupture. Il avait raison. « Ce sera, me dit-il, une affaire qui s’arrangera très-bien entre vous et votre femme, de qui vous obtiendrez facilement une belle et bonne absolution. » Enfin, pour étouffer mes scrupules, il n’oublia aucun des captieux raisonnements que suggère la sagesse habituelle du monde. Je vous avouerai, monsieur, que, malgré ma promesse, mon premier sentiment me porta loyalement à tout découvrir au chef de la famille ; mais sa rigidité me fit réfléchir, et les conséquences de cet aveu m’effrayèrent ; je transigeai lâchement avec ma conscience, je résolus d’attendre, et d’obtenir de ma prétendue assez de gages d’affection pour que mon bonheur ne fût pas compromis par cette terrible confidence. Ma résolution de tout avouer dans un moment opportun légitima les sophismes du monde et ceux du prudent vieillard. Je fus donc, à l’insu des amis de la maison, admis comme