Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/481

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gnie à travers les champs, à pouvoir être seuls parfois, à s’asseoir sous un arbre au fond de quelque jolie petite vallée, à y regarder les constructions d’un vieux moulin, à s’arracher quelques confidences, vous savez, de ces petites causeries douces par lesquelles on s’avance tous les jours un peu plus dans le cœur l’un de l’autre. Ah ! monsieur, la vie en plein air, les beautés du ciel et de la terre, s’accordent si bien avec la perfection et les délices de l’âme ! Se sourire en contemplant les cieux, mêler des paroles simples aux chants des oiseaux sous la feuillue humide, revenir au logis à pas lents en écoutant les sons de la cloche qui vous rappelle trop tôt, admirer ensemble un petit détail de paysage, suivre les caprices d’un insecte, examiner une mouche d’or, une fragile création que tient une jeune fille aimante et pure, n’est-ce pas être attiré tous les jours un peu plus haut dans les cieux ? Il y eut pour moi, dans ces quarante jours de bonheur, des souvenirs à colorer toute une vie, souvenirs d’autant plus beaux et plus vastes, que jamais depuis je ne devais être compris. Aujourd’hui, des images simples en apparence, mais pleines de signifiances amères pour un cœur brisé, m’ont rappelé des amours évanouis, mais non pas oubliés. Je ne sais si vous avez remarqué l’effet du soleil couchant sur la chaumière du petit Jacques. En un moment les feux du soleil ont fait resplendir la nature, puis soudain le paysage est devenu sombre et noir. Ces deux aspects si différents me présentaient un fidèle tableau de cette période de mon histoire. Monsieur, je reçus d’elle le premier, le seul et sublime témoignage qu’il soit permis à une jeune fille innocente de donner ; et qui, plus furtif il est, plus il engage : suave promesse d’amour, souvenir du langage parlé dans un monde meilleur ! Sûr alors d’être aimé, je jurai de tout dire, de ne pas avoir un secret pour elle, j’eus honte d’avoir tant tardé à lui raconter les chagrins que je m’étais créés. Par malheur, le lendemain de cette bonne journée, une lettre du précepteur de mon fils me fit trembler pour une vie qui m’était si chère. Je partis sans dire mon secret à Évelina, sans donner à la famille d’autre motif que celui d’une affaire grave. En mon absence, les parents s’alarmèrent. Craignant que je n’eusse quelques engagements de cœur, ils écrivirent à Paris pour prendre des informations sur mon compte. Inconséquents avec leurs principes religieux, ils se défièrent de moi, sans me mettre à même de dissiper leurs soupçons ; un de leurs amis les instruisit, à mon insu, des événements