Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/49

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En ce moment Marche-à-terre, qui reconnaissait aussi la turgotine, la signala à ses camarades, et les éclats d’une joie générale tirèrent la jeune dame de sa rêverie. L’inconnue s’avança et vit la voiture qui s’approchait du revers de La Pèlerine avec une fatale rapidité. La malheureuse turgotine arriva bientôt sur le plateau. Les Chouans, qui s’y étaient cachés de nouveau, fondirent alors sur leur proie avec une avide célérité. Le voyageur muet se laissa couler au fond de la voiture et se blottit soudain en cherchant à garder l’apparence d’un ballot.

— Ah ! bien, s’écria Coupiau de dessus son siége en leur désignant le paysan, vous avez senti le patriote que voilà, car il a de l’or, un plein sac !

Les Chouans accueillirent ces paroles par un éclat de rire général et s’écrièrent : — Pille-miche ! Pille-miche ! Pille-miche !

Au milieu de ce rire, auquel Pille-miche lui-même répondit comme un écho, Coupiau descendit tout honteux de son siége. Lorsque le fameux Cibot, dit Pille-miche, aida son voisin à quitter la voiture, il s’éleva un murmure de respect.

— C’est l’abbé Gudin ! crièrent plusieurs hommes.

À ce nom respecté, tous les chapeaux furent ôtés, les Chouans s’agenouillèrent devant le prêtre et lui demandèrent sa bénédiction, que l’abbé leur donna gravement.

— Il tromperait saint Pierre et lui volerait les clefs du paradis, dit le recteur en frappant sur l’épaule de Pille-miche. Sans lui, les Bleus nous interceptaient.

Mais, en apercevant la jeune dame, l’abbé Gudin alla s’entretenir avec elle à quelques pas de là. Marche-à-terre, qui avait ouvert lestement le coffre du cabriolet, fit voir avec une joie sauvage un sac dont la forme annonçait des rouleaux d’or. Il ne resta pas longtemps à faire les parts. Chaque Chouan reçut de lui son contingent avec une telle exactitude, que ce partage n’excita pas la moindre querelle. Puis il s’avança vers la jeune dame et le prêtre, en leur présentant six mille francs environ.

— Puis-je accepter en conscience, monsieur Gudin ? dit-elle en sentant le besoin d’une approbation.

— Comment donc, madame ? l’Église n’a-t-elle pas autrefois approuvé la confiscation du bien des Protestants ; à plus forte raison, celles des Révolutionnaires qui renient Dieu, détruisent les chapelles et persécutent la religion. L’abbé Gudin joignit l’exemple à la pré-