Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/491

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médecin, et je résolus de le pratiquer ici. D’ailleurs, aux cœurs blessés l’ombre et le silence, avais-je dit dans ma lettre ; ce que je m’étais promis à moi-même de faire, je voulus l’accomplir. Je suis entré dans une voie de silence et de résignation. Le Fuge, late, tace du chartreux est ici ma devise, mon travail est une prière active, mon suicide moral est la vie de ce canton, sur lequel j’aime, en étendant la main, à semer le bonheur et la joie, à donner ce que je n’ai pas. L’habitude de vivre avec des paysans, mon éloignement du monde m’ont réellement transformé. Mon visage a changé d’expression, il s’est habitué au soleil qui l’a ridé, durci. J’ai pris d’un campagnard l’allure, le langage, le costume, le laissez-aller, l’incurie de tout ce qui est grimace. Mes amis de Paris, ou les petites-maîtresses dont j’étais le sigisbé, ne reconnaîtraient jamais en moi l’homme qui fut un moment à la mode, le sybarite accoutumé aux colifichets, au luxe, aux délicatesses de Paris. Aujourd’hui, tout ce qui est extérieur m’est complétement indifférent, comme à tous ceux qui marchent sous la conduite d’une seule pensée. Je n’ai plus d’autre but dans la vie que celui de la quitter, je ne veux rien faire pour en prévenir ni pour en hâter la fin ; mais je me coucherai sans chagrin pour mourir, le jour où la maladie viendra. Voilà, monsieur, dans toute leur sincérité, les événements de la vie antérieure à celle que je mène ici. Je ne vous ai rien déguisé de mes fautes, elles ont été grandes, elles me sont communes avec quelques hommes. J’ai beaucoup souffert, je souffre tous les jours ; mais j’ai vu dans mes souffrances la condition d’un heureux avenir. Néanmoins, malgré ma résignation, il est des peines contre lesquelles je suis sans force. Aujourd’hui j’ai failli succomber à des tortures secrètes, devant vous, à votre insu…

Genestas bondit sur sa chaise.

— Oui, capitaine Bluteau, vous étiez là. Ne m’avez-vous pas montré le lit de la mère Colas lorsque nous avons couché Jacques ? Hé ! bien, s’il m’est impossible de voir un enfant sans penser à l’ange que j’ai perdu, jugez de mes douleurs en couchant un enfant condamné à mourir ? Je ne sais pas voir froidement un enfant.

Genestas pâlit.

— Oui, les jolies têtes blondes, les têtes innocentes des enfants que je rencontre me parlent toujours de mes malheurs et réveillent mes tourments. Enfin il m’est affreux de penser que tant de gens