Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/490

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paix profonde que mon prédécesseur y avait goûtée, et je lus avec attendrissement l’inscription qu’il avait mise sur sa porte suivant la coutume du cloître ; tous les préceptes de la vie que je voulais mener y étaient résumés par trois mots latins : Fuge, late, tace

Genestas inclina la tête comme s’il comprenait.

J’étais décidé, reprit Benassis. Cette cellule boisée en sapin, ce lit dur, cette retraite, tout allait à mon âme. Les Chartreux étaient à la chapelle, j’allai prier avec eux. Là, mes résolutions s’évanouirent. Monsieur, je ne veux pas juger l’Église catholique, je suis très orthodoxe, je crois à ses œuvres et à ses lois. Mais en entendant ces vieillards inconnus au monde et morts au monde chanter leurs prières, je reconnus au fond du cloître une sorte d’égoïsme sublime. Cette retraite ne profite qu’à l’homme et n’est qu’un long suicide, je ne la condamne pas, monsieur. Si l’Église a ouvert ces tombes, elles sont sans doute nécessaires à quelques chrétiens tout à fait inutiles au monde. Je crus mieux agir, en rendant mon repentir profitable au monde social. Au retour, je me plus à chercher quelles étaient les conditions où je pourrais accomplir mes pensées de résignation. Déjà je menais imaginairement la vie d’un simple matelot, je me condamnais à servir la patrie en me plaçant au dernier rang, et renonçant à toutes les manifestations intellectuelles ; mais si c’était une vie de travail et de dévouement, elle ne me parut pas encore assez utile, N’était-ce pas tromper les vues de Dieu ? s’il m’avait doué de quelque force dans l’esprit, mon devoir n’était-il pas de l’employer au bien de mes semblables ? Puis, s’il m’est permis de parler franchement, je sentais en moi je ne sais quel besoin d’expansion que blessaient des obligations purement mécaniques. Je ne voyais dans la vie des marins aucune pâture pour cette bonté qui résulte de mon organisation, comme de chaque fleur s’exhale un parfum particulier. Je fus, comme je vous l’ai déjà dit, obligé de coucher ici. Pendant la nuit, je crus entendre un ordre de Dieu dans la compatissante pensée que m’inspira l’état de ce pauvre pays. J’avais goûté aux cruelles délices de la maternité, je résolus de m’y livrer entièrement, d’assouvir ce sentiment dans une sphère plus étendue que celle des mères, en devenant une sœur de charité pour tout un pays, en y pansant continuellement les plaies du pauvre. Le doigt de Dieu me parut donc avoir fortement tracé ma destinée, quand je songeai que la première pensée grave de ma jeunesse m’avait fait incliner vers l’état de