Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/495

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commerces, et le vieux père juif, de qui les doigts ne se trouvèrent pas gelés pour manier de l’or, avait très-bien fait ses affaires pendant notre déroute. Ces gens-là, ça vit dans l’ordure et ça meurt dans l’or. Leur maison était élevée sur des caves, en bois bien entendu, sous lesquelles ils avaient fourré leurs enfants, et notamment une fille belle comme une Juive quand elle se tient propre et qu’elle n’est pas blonde. Ça avait dix-sept ans, c’était blanc comme neige, des yeux de velours, des cils noirs comme des queues de rat, des cheveux luisants, touffus qui donnaient envie de les manier, une créature vraiment parfaite ! Enfin, monsieur, j’aperçus le premier ces singulières provisions, un soir que l’on me croyait couché, et que je fumais tranquillement ma pipe en me promenant dans la rue. Ces enfants grouillaient tous, pêle-mêle comme une nichée de chiens. C’était drôle à voir. Le père et la mère soupaient avec eux. À force de regarder, je découvris dans le brouillard de fumée que faisait le père avec ses bouffées de tabac, la jeune Juive qui se trouvait là comme un napoléon tout neuf dans un tas de gros sous. Moi, mon cher Benassis, je n’ai jamais eu le temps de réfléchir à l’amour ; cependant, lorsque je vis cette jeune fille, je compris que jusqu’alors je n’avais fait que céder à la nature ; mais cette fois tout en était, la tête, le cœur et le reste. Je devins donc amoureux de la tête aux pieds, oh ! mais rudement. Je demeurai là, fumant ma pipe, occupé à regarder la Juive, jusqu’à ce qu’elle eût soufflé sa chandelle et qu’elle se fût couchée. Impossible de fermer l’œil ! je restai pendant toute la nuit, chargeant ma pipe, la fumant, me promenant dans la rue. Je n’avais jamais été comme ça. Ce fut la seule fois de ma vie que je pensai à me marier. Quand vint le jour, j’allai seller mon cheval, et je trottai pendant deux grandes heures dans la campagne pour me rafraîchir ; et, sans m’en apercevoir, j’avais presque fourbu ma bête… Genestas s’arrêta, regarda son nouvel ami d’un air inquiet, et lui dit : — Excusez-moi, Benassis, je ne suis pas orateur, je parle comme ça me vient, si j’étais dans un salon, je me gênerais, mais avec vous et à la campagne…

— Continuez, dit le médecin.

— Quand je revins à ma chambre, j’y trouvai Renard tout affairé. Me croyant tué en duel, il nettoyait ses pistolets, et avait idée de chercher chicane à celui qui m’aurait mis à l’ombre… Oh ! mais voilà le caractère du pèlerin. Je confiai mon amour à Renard, en