Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/511

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sur l’état que je dois faire embrasser à ce camarade-là, se dit Genestas en allant au repas d’adieu que ses officiers lui donnaient, car il ne devait plus rester que quelques jours à Grenoble.

Quand le lieutenant-colonel rentra, son domestique lui remit une lettre apportée par un messager qui en avait long-temps attendu la réponse. Quoique fort étourdi par les toasts que les officiers venaient de lui porter, Genestas reconnut l’écriture de son fils, crut qu’il le priait de satisfaire quelque fantaisie de jeune homme, et laissa la lettre sur sa table, où il la reprit le lendemain, lorsque les fumées du vin de Champagne furent dissipées.

« Mon cher père… — Ah ! petit drôle, se dit-il, tu ne manques jamais de me cajoler quand tu veux quelque chose ! Puis il reprit et lut ces mots : « Le bon monsieur Benassis est mort… » La lettre tomba des mains de Genestas qui n’en reprit la lecture qu’après une longue pause. » Ce malheur a jeté la consternation dans le pays, et nous a d’autant plus surpris, que monsieur Benassis était la veille parfaitement bien portant, et sans nulle apparence de maladie. Avant-hier, comme s’il eût connu sa fin, il alla visiter tous ses malades, même les plus éloignés, il avait parlé à tous les gens qu’il rencontrait, en leur disant : Adieu, mes amis. Il est revenu, suivant son habitude, pour dîner avec moi, sur les cinq heures. Jacquotte lui trouva la figure un peu rouge et violette ; comme il faisait froid, elle ne lui donna pas un bain de pieds, qu’elle avait l’habitude de le forcer à prendre quand elle lui voyait le sang à la tête. Aussi la pauvre fille, à travers ses larmes, crie-t-elle depuis deux jours : Si je lui avais donné un bain de pieds, il vivrait encore ! Monsieur Benassis avait faim, il mangea beaucoup, et fut plus gai que de coutume. Nous avons beaucoup ri ensemble, et je ne l’avais jamais vu riant. Après le dîner, sur les sept heures, un homme de Saint-Laurent-du-Pont vint le chercher pour un cas très-pressé. Il me dit : « — Il faut que j’y aille ; cependant ma digestion n’est pas faite, et je n’aime pas monter à cheval en cet état, surtout par un temps froid ; il y a de quoi tuer un homme ! » Néanmoins il partit. Goguelat, le piéton, apporta sur les neuf heures une lettre pour monsieur Benassis. Jacquotte, fatiguée d’avoir fait sa lessive, alla se coucher en me donnant la lettre, et me pria de préparer le thé dans notre chambre au feu de monsieur Benassis, car je couche encore près de lui sur mon petit lit de crin. J’éteignis le feu du salon, et montai pour at-