Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/512

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendre mon bon ami. Avant de poser la lettre sur la cheminée, je regardai, par un mouvement de curiosité, le timbre et l’écriture. Cette lettre venait de Paris, et l’adresse me parut avoir été écrite par une femme. Je vous en parle à cause de l’influence que cette lettre a eue sur l’événement. Vers dix heures j’entendis les pas du cheval de monsieur Benassis. Il dit à Nicolle : « — Il fait un froid de loup, je suis mal à mon aise. — Voulez-vous que j’aille réveiller Jacquotte, lui demanda Nicolle. — Non ! non ! » Et il monta. « — Je vous ai apprêté votre thé, lui dis-je. — Merci, Adrien ! » me répondit-il en me souriant comme vous savez. Ce fut son dernier sourire. Le voilà qui ôte sa cravate comme s’il étouffait. « — Il fait chaud ici ! » dit-il. Puis il se jeta sur un fauteuil. « — Il est venu une lettre pour vous, mon bon ami, la voici, lui dis-je. » Il prend la lettre, regarde l’écriture et s’écrie : « — Ha ! mon Dieu, peut-être est-elle libre ! » Puis il s’est penché la tête en arrière, et ses mains ont tremblé ; enfin, il mit une lumière sur la table, et décacheta la lettre. Le ton de son exclamation était si effrayant, que je le regardai pendant qu’il lisait, et je le vis rougir et pleurer. Puis tout à coup il tomba la tête la première en avant, je le relève et lui vois le visage tout violet. « — Je suis mort, dit-il en bégayant et en faisant un effort affreux pour se dresser. Saignez, saignez-moi ! cria-t-il, en me saisissant la main. Adrien, brûlez cette lettre ! » Et il me tendit la lettre, que je jetai au feu. J’appelle Jacquotte et Nicolle ; mais Nicolle seul m’entend ; il monte, et m’aide à mettre monsieur Benassis sur mon petit lit de crin. Il n’entendait plus, notre bon ami ! Depuis ce moment il a bien ouvert les yeux, mais il n’a plus rien vu. Nicolle, en partant à cheval, pour aller chercher monsieur Bordier, le chirurgien, a semé l’alarme dans le bourg. Alors en un moment tout le bourg a été sur pied. Monsieur Janvier, monsieur Dufau, tous ceux que vous connaissez sont venus les premiers. Monsieur Benassis était presque mort, il n’y avait plus de ressources. Monsieur Bordier lui a brûlé la plante des pieds sans pouvoir en obtenir signe de vie. C’était à la fois un accès de goutte et un épanchement au cerveau. Je vous donne fidèlement tous ces détails parce que je sais, mon cher père, combien vous aimez monsieur Benassis. Quant à moi, je suis bien triste et bien chagrin. Je puis vous dire qu’excepté vous, il n’est personne que j’aie mieux aimé. Je profitais plus en causant le soir avec ce bon monsieur Benassis,