Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/53

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vous laisser aller bien tranquillement. Mais comme vous n’êtes ni un bon Chouan, ni un vrai Bleu, quoique ce soit vous qui ayez acheté les biens de l’abbaye de Juvigny, vous nous payerez, ajouta le Chouan en ayant l’air de compter ses associés, trois cents écus de six francs pour votre rançon. La neutralité vaut bien cela.

— Trois cents écus de six francs ! répétèrent en chœur le malheureux banquier, Pille-miche et Coupiau, mais avec des expressions diverses.

— Hélas ! mon cher monsieur, continua d’Orgemont, je suis ruiné. L’emprunt forcé de cent millions fait par cette République du diable, qui me taxe à une somme énorme, m’a mis à sec.

— Combien t’a-t-elle donc demandé, ta République ?

— Mille écus, mon cher monsieur, répondit le banquier d’un air piteux en croyant obtenir une remise.

— Si ta République t’arrache des emprunts forcés si considérables, tu vois bien qu’il y a tout à gagner avec nous autres, notre gouvernement est moins cher. Trois cents écus, est-ce donc trop pour ta peau ?

— Où les prendrai-je ?

— Dans ta caisse, dit Pille-miche. Et que tes écus ne soient pas rognés, ou nous te rognerons les ongles au feu.

— Où vous les paierai-je ? demanda d’Orgemont.

— Ta maison de campagne de Fougères n’est pas loin de la ferme de Gibarry, où demeure mon cousin Galope-Chopine, autrement dit le grand Cibot, tu les lui remettras, dit Pille-miche.

— Ce n’est pas régulier, dit d’Orgemont.

— Qu’est-ce que cela nous fait ? reprit Marche-à-terre. Songe que, s’ils ne sont pas remis à Galope-Chopine d’ici à quinze jours, nous te rendrons une petite visite qui te guérira de la goutte, si tu l’as aux pieds.

— Quant à toi, Coupiau, reprit Marche-à-terre, ton nom désormais sera Mène-à-bien.

À ces mots les deux Chouans s’éloignèrent. Le voyageur remonta dans la voiture, qui, grâce au fouet de Coupiau, se dirigea rapidement vers Fougères.

— Si vous aviez eu des armes, lui dit Coupiau, nous aurions pu nous défendre un peu mieux.

— Imbécile, j’ai dix mille francs là, reprit d’Orgemont en montrant ses gros souliers. Est-ce qu’on peut se défendre avec une si forte somme sur soi ?