Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/59

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

litaire, déjà l’objet d’une réserve, elle annonçait toujours quelque tempête, les diverses intonations de cette phrase formaient des espèces de degrés qui, pour la demi-brigade, étaient un sûr thermomètre de la patience du chef ; et la franchise de ce vieux soldat en avait rendu la connaissance si facile, que le plus méchant tambour savait bientôt son Hulot par cœur, en observant les variations de la petite grimace par laquelle le commandant retroussait sa joue et clignait des yeux. Cette fois, le ton de la sourde colère par lequel il accompagna ce mot rendit les deux amis silencieux et circonspects. Les marques mêmes de petite-vérole qui sillonnaient ce visage guerrier parurent plus profondes et le teint plus brun que de coutume. Sa large queue bordée de tresses étant revenue sur une des épaulettes quand il remit son chapeau à trois cornes, Hulot la rejeta avec tant de fureur que les cadenettes en furent dérangées. Cependant comme il restait immobile, les poings fermés, les bras croisés avec force sur la poitrine, la moustache hérissée, Merle se hasarda à lui demander : — Part-on sur l’heure ?

— Oui, si les gibernes sont garnies, répondit-il en grommelant.

— Elles le sont.

— Portez arme ! par file à gauche, en avant, marche ! dit Merle à un geste de son chef.

Et les tambours se mirent en tête des deux compagnies désignées par Gérard. Au son du tambour, le commandant plongé dans ses réflexions parut se réveiller, et il sortit de la ville accompagné de ses deux amis, auxquels il ne dit pas un mot. Merle et Gérard se regardèrent silencieusement à plusieurs reprises comme pour se demander : — Nous tiendra-t-il longtemps rigueur ? Et, tout en marchant, ils jetèrent à la dérobée des regards observateurs sur Hulot qui continuait à dire entre ses dents de vagues paroles. Plusieurs fois ces phrases résonnèrent comme des jurements aux oreilles des soldats ; mais pas un d’eux n’osa souffler mot ; car, dans l’occasion, tous savaient garder la discipline sévère à laquelle étaient habitués les troupiers jadis commandés en Italie par Bonaparte. La plupart d’entre eux étaient comme Hulot, les restes de ces fameux bataillons qui capitulèrent à Mayence sous la promesse de ne pas être employés sur les frontières, et l’armée les avait nommés les Mayençais. Il était difficile de rencontrer des soldats et des chefs qui se comprissent mieux.