Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/609

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ment significative ; il l’appuya tout à la fois doucement et avec force.

— Allons, dit-il, il faut renoncer à tout : voilà le dernier battement et la dernière pensée, recueille-les, Denise ! Et il lui jeta un de ces regards par lesquels, dans les grandes circonstances, l’homme essaie d’imprimer son âme dans une autre âme.

Cette parole, cette pensée, étaient tout un testament. Tous ces legs inexprimés qui devaient être aussi fidèlement transmis que fidèlement demandés, la mère, la sœur, Jean et le prêtre les comprirent si bien, que tous se cachèrent les uns des autres pour ne pas se montrer leurs larmes et pour se garder le secret sur leurs idées. Ce peu de mots était l’agonie d’une passion, l’adieu d’une âme paternelle aux plus belles choses terrestres, en pressentant une renonciation catholique. Aussi le curé, vaincu par la majesté de toutes les grandes choses humaines, même criminelles, jugea-t-il de cette passion inconnue par l’étendue de la faute : il leva les yeux comme pour invoquer la grâce de Dieu. Là, se révélaient les touchantes consolations et les tendresses infinies de la Religion catholique, si humaine, si douce par la main qui descend jusqu’à l’homme pour lui expliquer la loi des mondes supérieurs, si terrible et divine par la main qu’elle lui tend pour le conduire au ciel. Mais Denise venait d’indiquer mystérieusement au curé l’endroit par où le rocher céderait, la cassure par où se précipiteraient les eaux du repentir. Tout à coup ramené par les souvenirs qu’il évoquait ainsi, Jean jeta le cri glacial de l’hyène surprise par des chasseurs.

— Non, non, s’écria-t-il en tombant à genoux, je veux vivre. Ma mère, prenez ma place, donnez-moi vos habits, je saurai m’évader. Grâce, grâce ! allez voir le roi, dites-lui…

Il s’arrêta, laissa passer un rugissement horrible, et s’accrocha violemment à la soutane du curé.

— Partez, dit à voix basse monsieur Bonnet aux deux femmes accablées.

Jean entendit cette parole, il releva la tête, regarda sa mère, sa sœur, et leur baisa les pieds.

— Disons-nous adieu, ne revenez plus ; laissez-moi seul avec monsieur Bonnet, ne vous inquiétez plus de moi, leur dit-il en serrant sa mère et sa sœur par une étreinte où il semblait vouloir mettre toute sa vie.