Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/653

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Farrabesche avait raison. Aucune force, aucune puissance ne pouvait tirer parti de ce sol, il résonnait sous le pied des chevaux comme s’il eût été creux. Quoique cet effet soit produit par les craies naturellement poreuses, il s’y trouvait aussi des fissures par où les eaux disparaissaient et s’en allaient alimenter sans doute des sources éloignées.

— Il y a pourtant des âmes qui sont ainsi, s’écria Véronique en arrêtant son cheval après avoir galopé pendant un quart d’heure. Elle resta pensive au milieu de ce désert où il n’y avait ni animaux ni insectes, et que les oiseaux ne traversaient point. Au moins dans la plaine de Montégnac se trouvait-il des cailloux, des sables, quelques terres meubles ou argileuses, des débris, une croûte de quelques pouces où la culture pouvait mordre ; mais là, le tuf le plus ingrat, qui n’était pas encore la pierre et n’était plus la terre, brisait durement le regard ; aussi là, fallait-il absolument reporter ses yeux dans l’immensité de l’éther. Après avoir contemplé la limite de ses forêts et la prairie achetée par son mari, Véronique revint vers l’entrée du Gabou, mais lentement. Elle surprit alors Farrabesche regardant une espèce de fosse qui semblait faire croire qu’un spéculateur avait essayé de sonder ce coin désolé, en imaginant que la nature y avait caché des richesses.

— Qu’avez-vous ? lui dit Véronique en apercevant sur cette mâle figure une expression de profonde tristesse.

— Madame, je dois la vie à cette fosse, ou, pour parler avec plus de justesse, le temps de me repentir et de racheter mes fautes aux yeux des hommes…

Cette façon d’expliquer la vie eut pour effet de clouer madame Graslin devant la fosse où elle arrêta son cheval.

— Je me cachais là, madame. Le terrain est si sonore que, l’oreille appliquée contre la terre, je pouvais entendre à plus d’une lieue les chevaux de la gendarmerie ou le pas des soldats, qui a quelque chose de particulier. Je me sauvais par le Gabou dans un endroit où j’avais un cheval, et je mettais toujours entre moi et ceux qui étaient à ma poursuite des cinq ou six lieues. Catherine m’apportait à manger là pendant la nuit ; si elle ne me trouvait point, j’y trouvais toujours du pain et du vin dans un trou couvert d’une pierre.

Ce souvenir de sa vie errante et criminelle, qui pouvait nuire à Farrabesche, trouva la plus indulgente pitié chez madame Graslin ;