Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/687

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sera-ce un phénomène curieux que celui de l’élévation progressive du prix de la viande. En 1850, dans vingt ans d’ici, Paris, qui payait la viande sept et onze sous la livre en 1814, la paiera vingt sous, à moins qu’il ne survienne un homme de génie qui sache exécuter la pensée de Charles X.

— Vous avez mis le doigt sur la grande plaie de la France, reprit le juge de paix. La cause du mal gît dans le Titre des Successions du Code civil, qui ordonne le partage égal des biens. Là est le pilon dont le jeu perpétuel émiette le territoire, individualise les fortunes en leur ôtant une stabilité nécessaire, et qui, décomposant sans recomposer jamais, finira par tuer la France. La Révolution française a émis un virus destructif auquel les journées de Juillet viennent de communiquer une activité nouvelle. Ce principe morbifique est l’accession du paysan à la propriété. Si le Titre des Successions est le principe du mal, le paysan en est le moyen. Le paysan ne rend rien de ce qu’il a conquis. Une fois que cet Ordre a pris un morceau de terre dans sa gueule toujours béante, il le subdivise tant qu’il y a trois sillons. Encore alors ne s’arrête-t-il pas ! Il partage les trois sillons dans leur longueur, comme monsieur vient de vous le prouver par l’exemple de la commune d’Argenteuil. La valeur insensée que le paysan attache aux moindres parcelles, rend impossible la recomposition de la Propriété. D’abord la Procédure et le Droit sont annulés par cette division, la propriété devient un non-sens. Mais ce n’est rien que de voir expirer la puissance du Fisc et de la Loi sur des parcelles qui rendent impossibles ses dispositions les plus sages, il y a des maux encore plus grands. On a des propriétaires de quinze, de vingt-cinq centimes de revenu ! Monsieur, dit-il en indiquant Grossetête, vient de vous parler de la diminution des races bovine et chevaline, le système légal y est pour beaucoup. Le paysan propriétaire n’a que des vaches, il en tire sa nourriture, il vend les veaux, il vend même le beurre, il ne s’avise pas d’élever des bœufs, encore moins des chevaux ; mais comme il ne récolte jamais assez de fourrage pour soutenir une année de sécheresse, il envoie sa vache au marché quand il ne peut plus la nourrir. Si, par un hasard fatal, la récolte du foin manquait pendant deux années de suite, vous verriez à Paris, la troisième année, d’étranges changements dans le prix du bœuf, mais surtout dans celui du veau.

— Comment pourra-t-on faire alors les banquets patriotiques ! dit en souriant le médecin.