Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/686

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— Monsieur Grossetête a raison, dit Gérard. Aussi l’œuvre que vous voulez tenter ici, madame, reprit-il en s’adressant à Véronique, est-elle un service rendu au pays.

— Oui, dit le juge de paix, parce que madame n’a qu’un fils. Le hasard de cette succession se perpétuera-t-il ? Pendant un certain laps de temps, la grande et magnifique culture que vous établirez, espérons-le, n’appartenant qu’à un seul propriétaire, continuera de produire des bêtes à cornes et des chevaux. Mais malgré tout, un jour viendra où forêts et prairies seront ou partagées ou vendues par lots. De partages en partages, les six mille arpents de votre plaine auront mille ou douze cents propriétaires, et dès lors, plus de chevaux ni de haut bétail.

— Oh ! dans ce temps-là… dit le maire.

— Entendez-vous le : Qu’est-ce que cela me fait ? signalé par monsieur Clousier, s’écria monsieur Grossetête, le voilà pris sur le fait ! Mais, monsieur, reprit le banquier d’un ton grave en s’adressant au maire stupéfait, ce temps est venu ! Sur un rayon de dix lieues autour de Paris, la campagne, divisée à l’infini, peut à peine nourrir les vaches laitières. La commune d’Argenteuil compte trente-huit mille huit cent quatre-vingt-cinq parcelles de terrain dont plusieurs ne donnent pas quinze centimes de revenu. Sans les puissants engrais de Paris, qui permettent d’obtenir des fourrages de qualités supérieures, je ne sais comment les nourrisseurs pourraient se tirer d’affaire. Encore cette nourriture violente et le séjour des vaches à l’étable les fait-elle mourir de maladies inflammatoires. On use les vaches autour de Paris comme on y use les chevaux dans les rues. Des cultures plus productives que celle de l’herbe, les cultures maraîchères, le fruitage, les pépinières, la vigne y anéantissent les prairies. Encore quelques années, et le lait viendra en poste à Paris, comme y vient la marée. Ce qui se passe autour de Paris a lieu de même aux environs de toutes les grandes villes. Le mal de cette division excessive des propriétés s’étend autour de cent villes en France, et la dévorera quelque jour tout entière. À peine, selon Chaptal, comptait-on, en 1800, deux millions d’hectares en vignobles ; une statistique exacte vous en donnerait au moins dix aujourd’hui. Divisée à l’infini par le système de nos successions, la Normandie perdra la moitié de sa production chevaline et bovine ; mais elle aura le monopole du lait à Paris, car son climat s’oppose heureusement à la culture de la vigne. Aussi