Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/699

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous dégradez le bien, lui dit-il sévèrement.

— Et comment ? répondit-elle en relevant la tête.

— Faire le bien, reprit monsieur Bonnet, est une passion aussi supérieure à l’amour, que l’humanité, madame, est supérieure à la créature. Or, tout ceci ne s’accomplit pas par la seule force et avec la naïveté de la vertu. Vous retombez de toute la grandeur de l’humanité au culte d’une seule créature ! Votre bienfaisance envers Farrabesche et Catherine comporte des souvenirs et des arrière-pensées qui en ôtent le mérite aux yeux de Dieu. Arrachez vous-même de votre cœur les restes du javelot qu’y a planté l’esprit du Mal. Ne dépouillez pas ainsi vos actions de leur valeur. Arriverez-vous donc enfin à cette sainte ignorance du bien que vous faites, et qui est la grâce suprême des actions humaines ?

Madame Graslin s’était retournée afin d’essuyer ses yeux, dont les larmes disaient au curé que sa parole attaquait quelque endroit saignant du cœur où son doigt fouillait une plaie mal fermée. Farrabesche, Catherine et Benjamin vinrent pour remercier leur bienfaitrice ; mais elle leur fit signe de s’éloigner, et de la laisser avec monsieur Bonnet.

— Voyez comme je les chagrine, lui dit-elle en les lui montrant attristés, et le curé, dont l’âme était tendre, leur fit alors signe de revenir. — Soyez, leur dit-elle, complétement heureux ; voici l’ordonnance qui vous rend tous vos droits de citoyen et vous exempte des formalités qui vous humiliaient, ajouta-t-elle en tendant à Farrabesche un papier qu’elle gardait à sa main.

Farrabesche baisa respectueusement la main de Véronique et la regarda d’un œil à la fois tendre et soumis, calme et dévoué que rien ne devait altérer, comme celui du chien fidèle pour son maître.

— Si Jacques a souffert, madame, dit Catherine, dont les beaux yeux souriaient, j’espère pouvoir lui rendre autant de bonheur qu’il a eu de peine ; car, quoi qu’il ait fait, il n’est pas méchant.

Madame Graslin détourna la tête, elle paraissait brisée par l’aspect de cette famille alors heureuse, et monsieur Bonnet la quitta pour aller à l’église, où elle se traîna sur le bras de monsieur Grossetête.

Après le déjeuner, tous allèrent assister à l’ouverture des travaux, que vinrent voir aussi tous les vieux de Montégnac. De la rampe sur laquelle montait l’avenue du château, monsieur Grossetête et monsieur Bonnet, entre lesquels était Véronique,