Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/715

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femmes, les enfants achevaient les plus jolis travaux de la campagne, ceux de la fenaison. L’air du soir, animé par la subite fraîcheur des orages, apportait les nourrissantes senteurs des herbes coupées et des bottes de foin faites. Les moindres accidents de ce beau panorama se voyaient parfaitement : et ceux, qui craignant l’orage, achevaient en toute hâte des meules autour desquelles les faneuses accouraient avec des fourches chargées, et ceux qui remplissaient les charrettes au milieu des botteleurs, et ceux qui, dans le lointain, fauchaient encore, et celles qui retournaient les longues lignes d’herbes abattues comme des hachures sur les prés pour les faner, et celles qui se pressaient de les mettre en maquets. On entendait les rires de ceux qui jouaient, mêlés aux cris des enfants qui se poussaient sur les tas de foin. On distinguait les jupes roses, ou rouges, ou bleues, les fichus, les jambes nues, les bras des femmes parées toutes de ces chapeaux de paille commune à grands bords, et les chemises des hommes, presque tous en pantalons blancs. Les derniers rayons du soleil poudroyaient à travers les longues lignes des peupliers plantés le long des rigoles qui divisent la plaine en prairies inégales, et caressaient les groupes composés de chevaux, de charrettes, d’hommes, de femmes, d’enfants et de bestiaux. Les gardeurs de bœufs, les bergères commençaient à réunir leurs troupeaux en les appelant au son de cornets rustiques. Cette scène était à la fois bruyante et silencieuse, singulière antithèse qui n’étonnera que les gens à qui les splendeurs de la campagne sont inconnues. Soit d’un côté du bourg, soit de l’autre, des convois de vert fourrage se succédaient. Ce spectacle avait je ne sais quoi d’engourdissant. Aussi Véronique allait-elle silencieuse, entre Gérard et le curé. Quand une brèche faite par une rue champêtre entre les maisons étagées au-dessous de cette terrasse, du presbytère et de l’église, permettait au regard de plonger dans la grande rue de Montégnac, Gérard et monsieur Bonnet apercevaient les yeux des femmes, des hommes, des enfants, enfin tous les groupes tournés vers eux, et suivant, plus particulièrement sans doute, madame Graslin. Combien de tendresses, de reconnaissances exprimées par les attitudes ! De quelles bénédictions Véronique n’était-elle pas chargée ! Avec quelle religieuse attention ces trois bienfaiteurs de tout un pays n’étaient-ils pas contemplés ! L’homme ajoutait donc un hymne de reconnaissance à tous les chants du soir. Mais si madame Graslin marchait les yeux attachés sur ces longues