Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/717

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marche d’une admirable élégance, la Sauviat, poussée par le désespoir de survivre à sa fille, laissa échapper le secret de bien des choses qui excitaient la curiosité.

— Marcher, s’écria-t-elle, et porter un affreux cilice de crin qui lui fait de continuelles piqûres sur la peau !

Cette parole glaça le jeune homme, qui n’avait pu demeurer insensible à la grâce exquise des mouvements de Véronique, et qui frémit en pensant à l’horrible et constant empire que l’âme avait dû conquérir sur le corps. La Parisienne la plus renommée pour l’aisance de sa tournure, pour son maintien et sa démarche, eût été vaincue peut-être en ce moment par Véronique.

— Elle le porte depuis treize ans, elle l’a mis après avoir achevé la nourriture du petit, dit la vieille en montrant le jeune Graslin. Elle a fait des miracles ici ; mais si l’on connaissait sa vie, elle pourrait être canonisée. Depuis qu’elle est ici, personne ne l’a vue mangeant, savez-vous pourquoi ? Aline lui apporte trois fois par jour un morceau de pain sec sur une grande terrine de cendre et des légumes cuits à l’eau, sans sel, dans un plat de terre rouge, semblable à ceux qui servent à donner la pâtée aux chiens ! Oui, voilà comment se nourrit celle qui a donné la vie à ce canton. Elle fait ses prières à genoux sur le bord de son cilice. Sans ces austérités, elle ne saurait avoir, dit-elle, l’air riant que vous lui voyez. Je vous dis cela, reprit la vieille à voix basse, pour que vous le répétiez au médecin que monsieur Roubaud est allé quérir à Paris. En empêchant ma fille de continuer ses pénitences, peut-être la sauverait-on encore, quoique la main de la Mort soit déjà sur sa tête. Voyez ! Ah ! il faut que je sois bien forte pour avoir résisté depuis quinze ans à toutes ces choses !

Cette vieille femme prit la main de son petit-fils, la leva, se la passa sur le front, sur les joues, comme si cette main enfantine avait le pouvoir d’un baume réparateur ; puis elle y mit un baiser plein d’une affection dont le secret appartient aussi bien aux grand’mères qu’aux mères. Véronique était alors arrivée à quelques pas du banc en compagnie de Clousier, du curé, de Gérard. Éclairée par les lueurs douces du couchant, elle resplendissait d’une horrible beauté. Son front jaune sillonné de longues rides amassées les unes au-dessus des autres, comme des nuages, révélaient une pensée fixe au milieu de troubles intérieurs. Sa figure, dénuée de toute couleur, entièrement blanche de la blancheur mate et