Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/72

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d’aisance ; en lui, tout décelait et une vie dirigée par des sentiments élevés et l’habitude du commandement. Mais les signes les plus caractéristiques de son génie se trouvaient dans un menton à la Bonaparte, et dans sa lèvre inférieure qui se joignait à la supérieure en décrivant la courbe gracieuse de la feuille d’acanthe sous le chapiteau corinthien. La nature avait mis dans ces deux traits d’irrésistibles enchantements.

— Ce jeune homme est singulièrement distingué pour un républicain, se dit mademoiselle de Verneuil.

Voir tout cela d’un clin d’œil, s’animer par l’envie de plaire, pencher mollement la tête de côté, sourire avec coquetterie, lancer un de ces regards veloutés qui ranimeraient un cœur mort à l’amour ; voiler ses longs yeux noirs sous de larges paupières dont les cils fournis et recourbés dessinèrent une ligne brune sur sa joue ; chercher les sons les plus mélodieux de sa voix pour donner un charme pénétrant à cette phrase banale : « — Nous vous sommes bien obligées, monsieur, » tout ce manège n’employa pas le temps nécessaire à le décrire. Puis mademoiselle de Verneuil, s’adressant à l’hôte, demanda son appartement, vit l’escalier, et disparut avec Francine en laissant à l’étranger le soin de deviner si cette réponse contenait une acceptation ou un refus.

— Quelle est cette femme-là ? demanda lestement l’élève de l’École polytechnique à l’hôte immobile et de plus en plus stupéfait.

— C’est la citoyenne Verneuil, répondit aigrement Corentin en toisant le jeune homme avec jalousie, une ci-devant, qu’en veux-tu faire ?

L’inconnu, qui fredonnait une chanson républicaine, leva la tête avec fierté vers Corentin. Les deux jeunes gens se regardèrent alors pendant un moment comme deux coqs prêts à se battre, et ce regard fit éclore la haine entre eux pour toujours. Autant l’œil bleu du militaire était franc, autant l’œil vert de Corentin annonçait de malice et de fausseté ; l’un possédait nativement des manières nobles, l’autre n’avait que des façons insinuantes ; l’un s’élançait, l’autre se courbait ; l’un commandait le respect, l’autre cherchait à l’obtenir ; l’un devait dire : Conquérons ! l’autre : Partageons !

— Le citoyen du Gua-Saint-Cyr est-il ici ? dit un paysan en entrant.

— Que lui veux-tu ? répondit le jeune homme en s’avançant.