Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/71

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cette fois trop fortement intéressée à pénétrer ce mystère pour ne pas profiter de ses avantages.

— Eh ! bien, mademoiselle accepte votre proposition, dit-elle gravement à l’hôte, qui fut comme réveillé en sursaut par ces paroles.

— Laquelle ? demanda-t-il avec une surprise réelle.

— Laquelle ? demanda Corentin survenant.

— Laquelle ? demanda mademoiselle de Verneuil.

— Laquelle ? demanda un quatrième personnage qui se trouvait sur la dernière marche de l’escalier et qui sauta légèrement dans la cuisine.

— Eh bien ! de déjeuner avec vos personnes de distinction, répondit Francine impatiente.

— De distinction, reprit d’une voix mordante et ironique le personnage arrivé par l’escalier. Ceci, mon cher, me semble une mauvaise plaisanterie d’auberge ; mais si c’est cette jeune citoyenne que tu veux nous donner pour convive, il faudrait être fou pour s’y refuser, brave homme, dit-il en regardant mademoiselle de Verneuil. En l’absence de ma mère, j’accepte, ajouta-t-il en frappant sur l’épaule de l’aubergiste stupéfait.

La gracieuse étourderie de la jeunesse déguisa la hauteur insolente de ces paroles qui attira naturellement l’attention de tous les acteurs de cette scène sur ce nouveau personnage. L’hôte prit alors la contenance de Pilate cherchant à se laver les mains de la mort de Jésus-Christ, il rétrograda de deux pas vers sa grosse femme, et lui dit à l’oreille : — Tu es témoin que, s’il arrive quelque malheur, ce ne sera pas ma faute. Mais au surplus, ajouta-t-il encore plus bas, va prévenir de tout ça monsieur Marche-à-terre.

Le voyageur, jeune homme de moyenne taille, portait un habit bleu et de grandes guêtres noires qui lui montaient au-dessus du genou, sur une culotte de drap également bleu. Cet uniforme simple et sans épaulettes appartenait aux élèves de l’École polytechnique. D’un seul regard, mademoiselle de Verneuil sut distinguer sous ce costume sombre des formes élégantes et ce je ne sais quoi qui annoncent une noblesse native. Assez ordinaire au premier aspect, la figure du jeune homme se faisait bientôt remarquer par la conformation de quelques traits où se révélait une âme capable de grandes choses. Un teint bruni, des cheveux blonds et bouclés, des yeux bleus étincelants, un nez fin, des mouvements pleins