Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/725

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— Madame Graslin ne m’a jamais permis de lui palper l’estomac, dit monsieur Roubaud. Je n’ai rien pu savoir de sa maladie que par l’état du visage, par celui du pouls, et par des renseignements que j’obtenais de sa mère et de sa femme de chambre.

On avait mis Véronique sur un canapé pendant qu’on lui arrangeait le lit de parade placé au fond de cette chambre. Les médecins causaient à voix basse. La Sauviat et Aline firent le lit. Le visage des deux Auvergnates était effrayant à voir, elles avaient le cœur percé par cette idée : Nous faisons son lit pour la dernière fois, elle va mourir là ! La consultation ne fut pas longue. Avant tout, Bianchon exigea qu’Aline et la Sauviat coupassent d’autorité, malgré la malade, le cilice de crin et lui missent une chemise. Les deux médecins allèrent dans le salon pendant cette opération. Quand Aline passa, tenant ce terrible instrument de pénitence enveloppé d’une serviette, elle leur dit : — Le corps de madame n’est qu’une plaie !

Les deux docteurs rentrèrent.

— Votre volonté est plus forte que celle de Napoléon, madame, dit Bianchon après quelques demandes auxquelles Véronique répondit avec clarté, vous conservez votre esprit et vos facultés dans la dernière période de la maladie où l’empereur avait perdu sa rayonnante intelligence. D’après ce que je sais de vous, je dois vous dire la vérité.

— Je vous la demande à mains jointes, dit-elle ; vous avez le pouvoir de mesurer ce qui me reste de forces, et j’ai besoin de toute ma vie pour quelques heures.

— Ne pensez donc maintenant qu’à votre salut, dit Bianchon.

— Si Dieu me fait la grâce de me laisser mourir tout entière, répondit-elle avec un sourire céleste, croyez que cette faveur est utile à la gloire de son Église. Ma présence d’esprit est nécessaire pour accomplir une pensée de Dieu, tandis que Napoléon avait accompli toute sa destinée.

Les deux médecins se regardaient avec étonnement, en écoutant ces paroles prononcées aussi aisément que si madame Graslin eût été dans son salon.

— Ah ! voilà le médecin qui va me guérir, dit-elle en voyant entrer l’archevêque.

Elle rassembla ses forces pour se mettre sur son séant, pour saluer gracieusement monsieur Bianchon, et le prier d’accepter au-