Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/726

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tre chose que de l’argent pour la bonne nouvelle qu’il venait de lui donner ; elle dit quelques mots à l’oreille de sa mère, qui emmena le médecin ; puis elle ajourna l’archevêque jusqu’au moment où le curé viendrait, et manifesta le désir de prendre un peu de repos. Aline veilla sa maîtresse. À minuit, madame Graslin s’éveilla, demanda l’archevêque et le curé, que sa femme de chambre lui montra priant pour elle. Elle fit un signe pour renvoyer sa mère et la servante, et, sur un nouveau signe, les deux prêtres vinrent à son chevet.

— Monseigneur, et vous, monsieur le curé, je ne vous apprendrai rien que vous ne sachiez. Vous le premier, monseigneur, vous avez jeté votre coup-d’œil dans ma conscience, vous y avez lu presque tout mon passé, et ce que vous y avez entrevu vous a suffi. Mon confesseur, cet ange que le ciel a mis près de moi, sait quelque chose de plus : j’ai dû lui tout avouer. Vous de qui l’intelligence est éclairée par l’esprit de l’Église, je veux vous consulter sur la manière dont, en vraie chrétienne, je dois quitter la vie. Vous, austères et saints esprits, croyez-vous que si le ciel daigne pardonner au plus entier, au plus profond repentir qui jamais ait agité une âme coupable, pensez-vous que j’aie satisfait à tous mes devoirs ici-bas ?

— Oui, dit l’archevêque, oui ma fille.

— Non, mon père, non, dit-elle en se dressant et jetant des éclairs par les yeux. Il est, à quelques pas d’ici, une tombe où gît un malheureux qui porte le poids d’un horrible crime, il est dans cette somptueuse demeure une femme que couronne une renommée de bienfaisance et de vertu. Cette femme, on la bénit ! Ce pauvre jeune homme, on le maudit ! Le criminel est accablé de réprobation, et je jouis de l’estime générale ; je suis pour la plus grande partie dans le forfait, il est pour beaucoup dans le bien qui me vaut tant de gloire et de reconnaissance ; fourbe que je suis, j’ai les mérites, et, martyr de sa discrétion, il est couvert de honte ! Je mourrai dans quelques heures, voyant tout un canton me pleurer, tout un département célébrer mes bienfaits, ma piété, mes vertus ; tandis qu’il est mort au milieu des injures, à la vue de toute une population accourue en haine des meurtriers ! Vous, mes juges, vous êtes indulgents ; mais j’entends en moi-même une voix impérieuse qui ne me laisse aucun repos. Ah ! la main de Dieu, moins douce que la vôtre, m’a frappée de jour en jour, comme pour