Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/731

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sacristie, orné, préparé pour que monseigneur pût y dire la messe. Madame Graslin fut touchée de ces soins que l’Église accorde seulement aux personnes royales. Les deux battants de la porte qui donnait sur la salle à manger étaient ouverts, elle put voir le rez-de-chaussée de son château rempli par une grande partie de la population. Les amis de cette femme avaient pourvu à tout, car le salon était exclusivement occupé par les gens de sa maison. En avant et groupés devant la porte de sa chambre, se trouvaient les amis et les personnes sur la discrétion desquelles on pouvait compter. Messieurs Grossetête, de Grandville, Roubaud, Gérard, Clousier, Ruffin, se placèrent au premier rang. Tous devaient se lever et se tenir debout pour empêcher ainsi la voix de la pénitente d’être écoutée par d’autres que par eux. Il y eut d’ailleurs une circonstance heureuse pour la mourante : les pleurs de ses amis étouffèrent ses aveux. En tête de tous, deux personnes offraient un horrible spectacle. La première était Denise Tascheron ; ses vêtements étrangers, d’une simplicité quakerienne, la rendaient méconnaissable à ceux du village qui la pouvaient apercevoir ; mais elle était, pour l’autre personne, une connaissance difficile à oublier, et son apparition fut un horrible trait de lumière. Le Procureur-général entrevit la vérité ; le rôle qu’il avait joué auprès de madame Graslin, il le devina dans toute son étendue. Moins dominé que les autres par la question religieuse, en sa qualité d’enfant du dix-neuvième siècle, le magistrat eut au cœur une féroce épouvante, car il put alors contempler le drame de la vie intérieure de Véronique à l’hôtel Graslin, pendant le procès Tascheron. Cette tragique époque reparut tout entière à son souvenir, éclairée par les deux yeux de la vieille Sauviat, qui, allumés par la haine, tombaient sur lui comme deux jets de plomb fondu ; cette vieille, debout à dix pas de lui, ne lui pardonnait rien. Cet homme, qui représentait la Justice humaine, éprouva des frissons. Pâle, atteint dans son cœur, il n’osa jeter les yeux sur le lit où la femme qu’il avait tant aimée, livide sous la main de la Mort, tirait sa force, pour dompter l’agonie, de la grandeur même de sa faute ; et le sec profil de Véronique, nettement dessiné en blanc sur le damas rouge, lui donna le vertige. À onze heures la messe commença. Quand l’épître eut été lue par le curé de Vizay, l’archevêque quitta sa dalmatique et se plaça au seuil de la porte.

— Chrétiens rassemblés ici pour assister à la cérémonie de