Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/732

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l’Extrême-Onction que nous allons conférer à la maîtresse de cette maison, dit-il, vous qui joignez vos prières à celles de l’Église afin d’intercéder pour elle auprès de Dieu et obtenir son salut éternel, apprenez qu’elle ne s’est pas trouvée digne, à cette heure suprême, de recevoir le saint-viatique sans avoir fait, pour l’édification de son prochain, la confession publique de la plus grande de ses fautes. Nous avons résisté à son pieux désir, quoique cet acte de contrition ait été pendant longtemps en usage dans les premiers jours du christianisme ; mais comme cette pauvre femme nous a dit qu’il s’agissait en ceci de la réhabilitation d’un malheureux enfant de cette paroisse, nous la laissons libre de suivre les inspirations de son repentir.

Après ces paroles dites avec une onctueuse dignité pastorale, l’archevêque se retourna pour faire place à Véronique. La mourante apparut soutenue par sa vieille mère et par le curé, deux grandes et vénérables images : ne tenait-elle pas son corps de la Maternité, son âme de sa mère spirituelle, l’Église ? Elle se mit à genoux sur un coussin, joignit les mains, et se recueillit pendant quelques instants pour puiser en elle-même à quelque source épanchée du ciel la force de parler. En ce moment, le silence eut je ne sais quoi d’effrayant. Nul n’osait regarder son voisin. Tous les yeux étaient baissés. Cependant le regard de Véronique, quand elle leva les yeux, rencontra celui du Procureur-général, et l’expression de ce visage devenu blanc la fit rougir.

— Je ne serais pas morte en paix, dit Véronique d’une voix altérée, si j’avais laissé de moi la fausse image que chacun de vous qui m’écoutez a pu s’en faire. Vous voyez en moi une grande criminelle qui se recommande à vos prières, et qui cherche à se rendre digne de pardon par l’aveu public de sa faute. Cette faute fut si grave, elle eut des suites si fatales qu’aucune pénitence ne la rachètera peut-être. Mais plus j’aurai subi d’humiliations sur cette terre, moins j’aurai sans doute à redouter de colère dans le royaume céleste où j’aspire. Mon père, qui avait tant de confiance en moi, recommanda, voici bientôt vingt ans, à mes soins un enfant de cette paroisse, chez lequel il avait reconnu l’envie de se bien conduire, une aptitude à l’instruction et d’excellentes qualités. Cet enfant est le malheureux Jean-François Tascheron, qui s’attacha dès lors à moi comme à sa bienfaitrice. Comment l’affection que je lui portais devint-elle coupable ? C’est ce que je crois être dis-