Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/734

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dans le secret des austérités par lesquelles j’ai brisé cette chair qui avait failli. Je demande donc pardon au monde de l’avoir trompé, entraînée par la terrible logique du monde. Jean-François Tascheron n’est pas aussi coupable que la société a pu le croire. Ah ! vous tous qui m’écoutez, je vous en supplie ! tenez compte de sa jeunesse et d’une ivresse excitée autant par les remords qui m’ont saisie que par d’involontaires séductions. Bien plus ! ce fut la probité, mais une probité mal entendue, qui causa le plus grand de tous les malheurs. Nous ne supportâmes ni l’un ni l’autre ces tromperies continuelles. Il en appelait, l’infortuné, à ma propre grandeur, et voulait rendre le moins blessant possible pour autrui ce fatal amour. J’ai donc été la cause de son crime. Poussé par la nécessité, le malheureux, coupable de trop de dévouement pour une idole, avait choisi dans tous les actes répréhensibles celui dont les dommages étaient réparables. Je n’ai rien su qu’au moment même. À l’exécution, la main de Dieu a renversé tout cet échafaudage de combinaisons fausses. Je suis rentrée ayant entendu des cris qui retentissent encore à mes oreilles, ayant deviné des luttes sanglantes qu’il n’a pas été en mon pouvoir d’arrêter, moi l’objet de cette folie. Tascheron était devenu fou, je vous l’atteste.

Ici, Véronique regarda le Procureur-général, et l’on entendit un profond soupir sorti de la poitrine de Denise.

— Il n’avait plus sa raison en voyant ce qu’il croyait être son bonheur détruit par des circonstances imprévues. Ce malheureux, égaré par son cœur, a marché fatalement d’un délit dans un crime, et d’un crime dans un double meurtre. Certes, il est parti de chez ma mère innocent, il y est revenu coupable. Moi seule au monde savais qu’il n’y eut ni préméditation, ni aucune des circonstances aggravantes qui lui ont valu son arrêt de mort. Cent fois j’ai voulu me livrer pour le sauver, et cent fois un horrible héroïsme, nécessaire et supérieur, a fait expirer la parole sur mes lèvres. Certes, ma présence à quelques pas a contribué peut-être à lui donner l’odieux, l’infâme, l’ignoble courage des assassins. Seul, il aurait fui. J’avais formé cette âme, élevé cet esprit, agrandi ce cœur, je le connaissais, il était incapable de lâcheté ni de bassesse. Rendez justice à ce bras innocent, rendez justice à celui que Dieu dans sa clémence laisse dormir en paix dans le tombeau que vous avez arrosé de vos larmes, devinant sans doute la vérité ! Punissez,