Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/76

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— Mademoiselle de Verneuil est-elle belle et jeune ? demanda la dame frappée d’une idée soudaine et s’adressant à l’hôtesse.

En ce moment l’hôte interrompit cette conversation dont l’intérêt avait quelque chose de cruel pour ces trois personnages, en annonçant que le déjeuner était servi. Le jeune marin offrit la main à sa mère avec une fausse familiarité qui confirma les soupçons de Corentin, auquel il dit tout haut en se dirigeant vers l’escalier : — Citoyen, si tu accompagnes la citoyenne Verneuil et qu’elle accepte la proposition de l’hôte, ne te gêne pas…

Quoique ces paroles fussent prononcées d’un ton leste et peu engageant, Corentin monta. Le jeune homme serra vivement la main de la dame, et quand ils furent séparés du Parisien par sept à huit marches : — Voilà, dit-il à voix basse, à quels dangers sans gloire nous exposent vos imprudentes entreprises. Si nous sommes découverts, comment pourrons-nous échapper ? Et quel rôle me faites-vous jouer !

— Tous trois arrivèrent dans une chambre assez vaste. Il ne fallait pas avoir beaucoup cheminé dans l’Ouest pour reconnaître que l’aubergiste avait prodigué pour recevoir ses hôtes tous ses trésors et un luxe peu ordinaire. La table était soigneusement servie. La chaleur d’un grand feu avait chassé l’humidité de l’appartement. Enfin, le linge, les sièges, la vaisselle, n’étaient pas trop malpropres. Aussi Corentin s’aperçut-il que l’aubergiste s’était, pour nous servir d’une expression populaire, mis en quatre, afin de plaire aux étrangers. — Donc, se dit-il, ces gens ne sont pas ce qu’ils veulent paraître. Ce petit jeune homme est rusé ; je le prenais pour un sot, mais maintenant je le crois aussi fin que je puis l’être moi-même.

Le jeune marin, sa mère et Corentin attendirent mademoiselle de Verneuil que l’hôte alla prévenir. Mais la belle voyageuse ne parut pas. L’élève de l’École polytechnique se douta bien qu’elle devait faire des difficultés, il sortit en fredonnant Veillons au salut de l’empire et se dirigea vers la chambre de mademoiselle de Verneuil, dominé par un piquant désir de vaincre ses scrupules et de l’amener avec lui. Peut-être voulait-il résoudre les doutes qui l’agitaient, ou peut-être essayer sur cette inconnue le pouvoir que tout homme a la prétention d’exercer sur une jolie femme.

— Si c’est là un républicain, se dit Corentin en le voyant sortir, je veux être pendu ! Il a dans les épaules le mouvement des gens de