Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/77

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cour. Et si c’est là sa mère, se dit-il encore en regardant madame du Gua, je suis le pape ! Je tiens des Chouans. Assurons-nous de leur qualité ?

La porte s’ouvrit bientôt, et le jeune marin parut en tenant par la main mademoiselle de Verneuil, qu’il conduisit à table avec une suffisance pleine de courtoisie. L’heure qui venait de s’écouler n’avait pas été perdue pour le diable. Aidée par Francine, mademoiselle de Verneuil s’était armée d’une toilette de voyage plus redoutable peut-être que ne l’est une parure de bal. Sa simplicité avait cet attrait qui procède de l’art avec lequel une femme, assez belle pour se passer d’ornements, sait réduire la toilette à n’être plus qu’un agrément secondaire. Elle portait une robe verte dont la jolie coupe, dont le spencer orné de brandebourgs dessinaient ses formes avec une affectation peu convenable à une jeune fille, et laissaient voir sa taille souple, son corsage élégant et ses gracieux mouvements. Elle entra en souriant avec cette aménité naturelle aux femmes qui peuvent montrer, dans une bouche rose, des dents bien rangées aussi transparentes que la porcelaine, et sur leurs joues, deux fossettes aussi fraîches que celles d’un enfant. Ayant quitté la capote qui l’avait d’abord presque dérobée aux regards du jeune marin, elle put employer aisément les mille petits artifices, si naïfs en apparence, par lesquels une femme fait ressortir et admirer toutes les beautés de son visage et les grâces de sa tête. Un certain accord entre ses manières et sa toilette la rajeunissait si bien que madame du Gua se crut libérale en lui donnant vingt ans. La coquetterie de cette toilette, évidemment faite pour plaire, devait inspirer de l’espoir au jeune homme ; mais mademoiselle de Verneuil le salua par une molle inclinaison de tête sans le regarder, et parut l’abandonner avec une folâtre insouciance qui le déconcerta. Cette réserve n’annonçait aux yeux des étrangers ni précaution ni coquetterie, mais une indifférence naturelle ou feinte. L’expression candide que la voyageuse sut donner à son visage le rendit impénétrable. Elle ne laissa paraître aucune préméditation de triomphe et sembla douée de ces jolies petites manières qui séduisent, et qui avaient dupé déjà l’amour-propre du jeune marin. Aussi l’inconnu regagna-t-il sa place avec une sorte de dépit.

Mademoiselle de Verneuil prit Francine par la main, et s’adressant à madame du Gua : — Madame, lui dit-elle d’une voix caressante, auriez-vous la bonté de permettre que cette fille, en qui je