Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/95

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échapper un geste désespéré, jeta la chinchoire à Pille-miche et ramassa une carabine cachée dans la paille.

— Sept à huit chinchées comme ça de suite, ça ne vaut rin, dit l’avare Pille-miche.

— En route, s’écria Marche-à-terre d’une voix rauque. Nous avons de la besogne.

Une trentaine de Chouans qui dormaient sous les râteliers et dans la paille, levèrent la tête, virent Marche-à-terre debout, et disparurent aussitôt par une porte qui donnait sur des jardins et d’où l’on pouvait gagner les champs. Lorsque Francine sortit de l’écurie, elle trouva la malle en état de partir. Mademoiselle de Verneuil et ses deux compagnons de voyage y étaient déjà montés. La Bretonne frémit en voyant sa maîtresse au fond de la voiture à côté de la femme qui venait d’en ordonner la mort. Le jeune officier se mit en avant de Marie, et aussitôt que Francine se fut assise, la lourde voiture partit au grand trot. Le soleil avait dissipé les nuages gris de l’automne, et ses rayons animaient la mélancolie des champs par un certain air de fête et de jeunesse. Beaucoup d’amants prennent ces hasards du ciel pour des présages. Francine fut étrangement surprise du silence qui régna d’abord entre les voyageurs. Mademoiselle de Verneuil avait repris son air froid, et se tenait les yeux baissés, la tête doucement inclinée, et les mains cachées sous une espèce de mante dans laquelle elle s’enveloppa. Si elle leva les yeux, ce fut pour voir les paysages qui s’enfuyaient en tournoyant avec rapidité. Certaine d’être admirée, elle se refusait à l’admiration ; mais son apparente insouciance accusait plus de coquetterie que de candeur. La touchante pureté qui donne tant d’harmonie aux diverses expressions par lesquelles se révèlent les âmes faibles, semblait ne pas pouvoir prêter son charme à une créature que ses vives impressions destinaient aux orages de l’amour. En proie au plaisir que donnent les commencements d’une intrigue, l’inconnu ne cherchait pas encore a s’expliquer la discordance qui existait entre la coquetterie et l’exaltation de cette singulière fille. Cette candeur jouée ne lui permettait-elle pas de contempler à son aise une figure que le calme embellissait alors autant qu’elle venait de l’être par l’agitation. Nous n’accusons guère la source de nos jouissances.

Il est difficile à une jolie femme de se soustraire, en voiture, aux regards de ses compagnons, dont les yeux s’attachent sur elle comme