Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/96

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pour y chercher une distraction de plus à la monotonie du voyage. Aussi, très heureux de pouvoir satisfaire l’avidité de sa passion naissante, sans que l’inconnue évitât son regard ou s’offensât de sa persistance, le jeune officier se plut-il à étudier les lignes pures et brillantes qui dessinaient les contours de ce visage. Ce fut pour lui comme un tableau. Tantôt le jour faisait ressortir la transparence rose des narines, et le double arc qui unissait le nez à la lèvre supérieure ; tantôt un pâle rayon de soleil mettait en lumière les nuances du teint, nacrées sous les yeux et autour de la bouche, rosées sur les joues, mates vers les tempes et sur le cou. Il admira les oppositions de clair et d’ombre produites par des cheveux dont les rouleaux noirs environnaient la figure, en y imprimant une grâce éphémère ; car tout est si fugitif chez la femme ! sa beauté d’aujourd’hui n’est souvent pas celle d’hier, heureusement pour elle peut-être ! Encore dans l’âge où l’homme peut jouir de ces riens qui sont tout l’amour, le soi-disant marin attendait avec bonheur le mouvement répété des paupières et les jeux séduisants que la respiration donnait au corsage. Parfois, au gré de ses pensées, il épiait un accord entre l’expression des yeux et l’imperceptible inflexion des lèvres. Chaque geste lui livrait une âme, chaque mouvement une face nouvelle de cette jeune fille. Si quelques idées venaient agiter ces traits mobiles, si quelque soudaine rougeur s’y infusait, si le sourire y répandait la vie, il savourait mille délices en cherchant à deviner les secrets de cette femme mystérieuse. Tout était piége pour l’âme, piége pour les sens. Enfin le silence, loin d’élever des obstacles à l’entente des cœurs, devenait un lien commun pour les pensées. Plusieurs regards où ses yeux rencontrèrent ceux de l’étranger apprirent à Marie de Verneuil que ce silence allait la compromettre ; elle fit alors à madame du Gua quelques-unes de ces demandes insignifiantes qui préludent aux conversations, mais elle ne put s’empêcher d’y mêler le fils.

— Madame, comment avez-vous pu, disait-elle, vous décider à mettre monsieur votre fils dans la marine ? N’est-ce pas vous condamner à de perpétuelles inquiétudes ?

— Mademoiselle, le destin des femmes, des mères, veux-je dire, est de toujours trembler pour leurs plus chers trésors.

— Monsieur vous ressemble beaucoup.

— Vous trouvez, mademoiselle.