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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/226

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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

été le papier grisâtre d’une sommation sans frais envoyée par le percepteur. Il lut la première phrase : « Parti, mais c’est une fuite, mon Raphaël. Comment ! personne ne peut me dire où tu es ? Et si je ne le sais pas, qui donc le saurait ? » Sans vouloir en apprendre davantage, il prit froidement les lettres et les jeta dans le foyer, en regardant d’un œil terne et sans chaleur les jeux de la flamme qui tordait le papier parfumé, le racornissait, le retournait, le morcelait.

Des fragments roulèrent sur les cendres en lui laissant voir des commencements de phrase, des mots, des pensées à demi brûlées, et qu’il se plut à saisir dans la flamme par un divertissement machinal.

« … Assise à ta porte… attendu… Caprice… j’obéis… Des rivales… moi, non !… ta Pauline… aime… plus de Pauline donc ?… Si tu avais voulu me quitter, tu ne m’aurais pas abandonnée… Amour éternel… Mourir… »

Ces mots lui donnèrent une sorte de remords : il saisit les pincettes et sauva des flammes un dernier lambeau de lettre.

« … J’ai murmuré, disait Pauline, mais je ne me suis pas plainte, Raphaël ? En me laissant loin de toi, tu as sans doute voulu me dérober le poids de quelques chagrins. Un jour, tu me tueras peut-être, mais tu es trop bon pour me faire souffrir. Eh ! bien, ne pars plus ainsi. Va, je puis affronter les plus grands supplices, mais près de toi. Le chagrin que tu m’imposerais ne serait plus un chagrin : j’ai dans le cœur encore bien plus d’amour que je ne t’en ai montré. Je puis tout supporter, hors de pleurer loin de toi, et de ne pas savoir ce que tu… »

Raphaël posa sur la cheminée ce débris de lettre noirci par le feu, il le rejeta tout à coup dans le foyer. Ce papier était une image trop vive de son amour et de sa fatale vie.

— Va chercher monsieur Bianchon, dit-il à Jonathas.

Horace vint et trouva Raphaël au lit.

— Mon ami, peux-tu me composer une boisson légèrement opiacée qui m’entretienne dans une somnolence continuelle, sans que l’emploi constant de ce breuvage me fasse mal ?

— Rien n’est plus aisé, répondit le jeune docteur ; mais il faudra cependant rester debout quelques heures de la journée, pour manger.